2002, avant et après — Le Mans, parc Théodore-Monod
Ouvert depuis avril 2002, le parc Théodore-Monod est un jardin public de la ville du Mans de 2,1 hectares proche du centre-ville, desservi par le tram (maître d’œuvre : Jacqueline Osty ; architectes : Lloca et Ogiun). Les Mancelles et Manceaux le connaissent tous, mais que savent-ils des engagements de l’homme qui herborisait dans le désert et qui lui a prêté son nom ?
Ce jardin est édifié sur l’ancien site de la caserne Chanzy, ce qui n’aurait pas déplu à ce pacifiste, voire antimilitariste… que Jean-Luc a coudoyé lors des marches antimilitaristes des années soixante-dix, dont celle de Metz-Verdun, du 4 au 10 août 1976.
Un centre de télécommunications de la gendarmerie nationale y a quand même été rebâti et trois bâtiments ont été conservés qui accueillent aujourd’hui des logements, l’office public HLM, une crèche et une salle d’expositions. Celle-là même qui a hébergé « l’installation » photos/vidéos/son « Tchernobyl tremblement » (c’est là : ▶).
Théodore Monod, un scientifique, un naturaliste, un humaniste… contre le nucléaire !
Théodore était un scientifique multidisciplinaire mais aussi érémologue. Un expert des déserts, notamment le Sahara… Ce milieu, qu’il arpentera à de nombreuses reprises, fut aussi l’aire de nombreuses expérimentations de nos armes nucléaires, à Reggane, autant dire sur les terres du « Grand déserteur » comme il se qualifiait lui-même avec humour, avant que nos grands artificiers n’aillent irradier les lagons du Pacifique et impacter la santé de nombreux vétérans et résidents. C’est là : ▶.
Mort le 22 novembre 2000 dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, il était de multiples combats, dont celui de la lutte antinucléaire. Dès le début des années 1950 (avec Jean Rostand, qui deviendra son ami), il accompagne la lutte des scientifiques partis des Etat-Unis comme le prix Nobel Linus Pauling et Einstein contre les essais nucléaires en atmosphère (moratoire entre Américains et Soviétiques en 1958 ; la France brise hélas ce fragile moratoire en commençant les siens au Sahara en 1960…).
On lui prête ce slogan lancé en 1965 (attribué aussi à Mouna, cf. infra) et maintes fois repris depuis : « Inactifs aujourd’hui, radioactifs demain ! » Joignant la parole à l’action, en juin 1966, lui et Jean Rostand déposent à l’Elysée un sac de pétitions contre les essais nucléaires dans le Pacifique. Érudits mais guère prosélytes, leur message pacifique et anti-nucléaire aura peu de succès dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, deux ans plus tard, en 1968. Les nombreuses marches contre l’armement atomique, à Pierrelatte et ailleurs, organisées par le MCAA (Mouvement contre l’armement atomique) en compagnie de Mouna (cf. intra) resteront, elles aussi, confidentielles et peu médiatisées mais formeront la base de plus fortes mobilisations.
En 1971, il sera du comité de parrainage des Amis de la Terre avec J. Rostand, C. Lévy-Strauss, B. Moitessier et bien d’autres. En juillet 1972, il manifeste à nouveau contre la reprise des essais nucléaires en compagnie de singuliers personnages qu’on retrouvera l’année suivante sur le voilier de David Mac Taggart, affrété par Greenpeace, qui fera route vers le périmètre de tir.
En mars 1974, il participe aux « Etats généraux pour la survie de l’homme » à la cité universitaire de Paris où il défendra une motion pour un moratoire sur le démentiel projet de parc nucléaire porté par Mesmer. A la mort de G. Pompidou (2 avril 1974), il renonce à être le candidat des écologistes à l’élection présidentielle. René Dumont s’y collera à sa place.
Il sera de la première grande manifestation à Creys-Malville, avec Lanza del Vasto et Philippe Lebreton, le 3 juillet 1976 (15 000 personnes marchent vers la centrale en construction).
Toutes ces années soixante-dix, il tiendra aussi de nombreuses chroniques sur toutes sortes de sujets de société dans le quotidien régional Ouest-France.
Nouvelle présidentielle en 1981. Théodore Monod délaisse la candidature de l’écologiste Brice Lalonde pour le vote de gauche, une sensibilité pour laquelle il avait beaucoup milité dans ses jeunes années. Vite déçu, il soutiendra le candidat Vert Didier Anger (militant antinucléaire archiconnu de la péninsule du Cotentin, invité de FukuchiNON 2014) aux élections européennes de 1984. Puis, en deuxième choix, il soutiendra celle d’un étonnant attelage, Mouna Aguigui, alias André Dupont, sorte de Diogène du Quartier Latin (1), et son — droit — suppléant, le Manceau Robert Malinge (ancien officier, rescapé de Dachau, Buchenwald) proche des Compagnons de l’Arche (communauté du patriarche Lanza del Vasto) et, avec eux, militant contre la guerre d’Algérie. Ce dernier créera le GRANV (2).
Le sabordage dans le port d’Auckland du Rainbow Warrior, prêt à appareiller pour s’opposer à un nouvel essai à Mururoa, perpétré par les services secrets français et commandité par Hernu et Mitterrand (avec la mort du photographe portugais de l’expédition), va achever sa rupture sentimentale avec cette gauche-là.
Extrait accessible d’Encyclopedia Universalis : La connaissance et l’amour de la nature ont fait de Théodore Monod un écologiste de la première heure. Militant antinucléaire, antimilitariste, défenseur des droits de l’homme et des animaux, il a combattu sur tous les fronts : pour le respect de toute forme de vie, en particulier contre la souffrance animale, pour la non-violence et pour la paix. Là se rejoignent en lui le croyant, fidèle aux enseignements du Christ, et « l’homme de gauche », luttant pour un progrès social et pour un monde plus juste. Signataire pendant la guerre d’Algérie du Manifeste des 121, témoin actif de Mai-68, militant au Larzac au côté de Lanza del Vasto, engagé avec l’abbé Pierre auprès des sans-papiers, jeûnant chaque année en souvenir des drames d’Hiroshima et de Nagasaki, il n’a cessé de dénoncer l’injustice, de prêcher le partage et la tolérance.
Son dernier jeûne sera en 1999, à l’âge canonique de quatre-vingt-dix-huit ans ! Il observait cette abstinence collective et publique depuis 1984, d’abord à Taverny, devant la base de commandement souterrain des Forces nucléaires françaises, puis à Paris.
Ce « Jeûne international pour l’abolition des armes nucléaires », en souvenir des victimes de Hiroshima et Nagasaki et pour réclamer l’abandon de l’arme nucléaire, perdure depuis de nombreuses années, cette année encore (2013) du 5 au 9 août (consulter sur le site du réseau national SDN). Depuis le début, il est conduit par l’association « La Maison de Vigilance » (cf. Liens) qu’il avait créé avec Solange Fernex, elle même longtemps présidente de « Femmes pour la Paix et la Liberté » (cf. Liens), coorganisatrice de cet événement.
Fils d’un pasteur (protestant), il a longtemps hésité à être lui-même. Une spiritualité qu’il observera toute sa vie. Mais il ne prêchait pas que dans le désert…
Nonobstant le combat anti-nucléaire que, forcément, nous avons choisi de souligner ici, il était de multiples autres combats pour les hommes, la nature, les animaux (il était végétarien) : au Roc (Rassemblement des opposants à la chasse), contre la corrida, la vivisection, il était du PaDak, contre le Paris-Dakar, au côté des sans-papiers, des sans-abri… Le « déserteur » (homme du désert dans cette acception) était d’abord un être engagé !
« La Vie Théodore » est un titre d’album et plus particulièrement une jolie chanson écrite et chantée par Alain Souchon qui rend hommage à Théodore Monod. (…) « Il marchait dans le désert… » certes, mais pas seulement, il marchait aussi avec les hommes et les femmes engagés. Pour l’écouter, c’est là : ▶.
[1] Leur programme : « Une Europe des gentils, des amis de la vie, pas celle du grisbi et du chichi ».
[2] Groupe de résistance et d’action non-violente du Mans (surtout mobilisé contre les ventes d’armes, le Larzac, Fontevraud et les centrales nucléaires).
Dans ce parc, on peut aussi y découvrir les sculptures de son fils, Ambroise Monod. Il élabore ses créations à partir de matériaux de récupération, ce qui l’amène à se définir non pas comme un sculpteur mais comme un « trans-formateur ». Il sera un des premiers à bénéficier du statut d’objecteur de conscience obtenu par Louis Lecoin et soutenu par Théodore Monod, par ailleurs signataire du Manifeste des 121 (soutenant l’insoumission à la guerre d’Algérie, sept. 1960).
Un Sarthois d’adoption, Roger Cans, journaliste au quotidien Le Monde de 1976 à 1996 (entre autres), en charge de la rubrique environnement à partir de 1983, lui a consacré un livre : Théodore Monod, savant tout terrain, éd. Sang de la Terre (2009, 317 p.). Il est aussi l’auteur de Petite histoire du mouvement écolo en France, éd. Delachaux et Niestlé.
Ci-dessus, buste en bronze du parc Théodore-Monod, d’après un original en plâtre de Nacéra Kaïnou.
Plus d’infos : commençons par Wikipédia, c’est là : ▶. Le jeûne collectif du 6 au 9 août, c’est ici : ▶.
Crédit photo : SDN 72 et repiquage d’un dépliant de « La Maison de Vigilance ».
Depuis cet article, le site national du réseau Sortir du Nucléaire propose une sélection de propos » antinucléaires » de Th. Monod. Dans le menu : Informez-vous, choisir : La phrase qui tue le nucléaire. Nous la reproduisons ci-dessous, mais c’est encore là : ▶.
Dans » Le chercheur d’absolu « , Théodore Monod écrivait :
« L’énergie nucléaire est une considérable imprudence où la France s’est lancée à corps perdu. D’autres pays, plus avisés, ont fait marche arrière : la Suisse, l’Allemagne, la Suède, les États-Unis. […] Pour comble, la France abrite les plus grandes décharges nucléaires d’Europe. De quoi pourrir le tissu écologique. La justice a tranché. La capitale de ces déchets radioactifs sera située à Digueville, dans la Manche. Le chiffre est astronomique, près de 70 000 tonnes de déchets français sans compter ceux venant de l’étranger. […] On peut craindre un autre Tchernobyl, n’importe où, n’importe quand. L’information a été faussée au point qu’on nous a dit que le nuage radioactif n’avait pas franchi le Rhin, alors qu’il s’est dilué, bien entendu, sur une partie de l’Hexagone. […]La Hague est devenue la poubelle nucléaire de l’Europe, mais les informations télévisées nous rassurent. Tout va pour le mieux, d’après l’A.N.D.R.A. (l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) qui a déterminé les lieux de stockage. Cet organisme est à la recherche d’un site éternel. C’est très difficile. Il faut toujours tenir compte des failles sismiques, du jeu des plaques tectoniques, du terrain qui passe du grès à l’argile sans transition. L’être humain a peut-être la mémoire courte mais pas la Terre. Les déchets radioactifs finiront dans des formations géologiques, soi-disant « stables ». Cela concerne des millions d’années car les déchets ont la vie longue. En outre, la Terre est en animation perpétuelle, en surface comme en sous-sol. Les bonnes gens à la mémoire courte et à l’égoïsme long dormiront en paix sur cette Terre-poubelle qui offre des garanties de solidité. Et qu’importe les fuites éventuelles des containers, le grand public a une notion limitée de l’avenir, 50 ou 100 ans lui semblent une immensité temporelle, mais pour le scientifique c’est un iota dans le sablier du Temps. Je ne suis pas pessimiste, mais clairvoyant. […]
Source : Théodore Monod, » Le chercheur d’absolu « , éditions du Cherche-Midi, 1997, p.60-65