Vendredi 7 novembre 2014, à 18 heures — Le Mans (place Roosevelt)
C’est le deuxième hommage qui est rendu à Rémi Fraisse [1] au Mans. Jeune botaniste de vingt et un ans, il venait de passer un BTS environnement et militait bénévolement à Nature Midi-Pyrénées, association affiliée à la très pacifique association France Nature Environnement. Il a été mortellement touché par une grenade offensive lors de la manifestation du 26 octobre 2014 contre le barrage du Testet (à proximité de Gaillac), dans le Tarn. Deux précédants hommages lui avaient été rendus le mercredi 29 octobre au Mans et à la Flèche, trois jours après son décès, à l’appel du collectif sarthois NDDL.
L’Etat est totalement responsable de la montée des tensions sur les sujets environnementaux. Flexible sur des volets sociétaux et patronaux, le pouvoir ne cède rien sur l’écologie (et pas que !). Concessif avec « La manif pour tous » et laxiste avec « les Bonnets rouges » et la frondeuse FNSEA (nous ne citerons que l’hôtel des Impôts à Morlaix, et pourtant…), Médiapart révèlera qu’à Sivens, le mal nommé Thierry Gentilhomme, préfet du Tarn, avait demandé au lieutenant-colonel qui commandait le dispositif « de faire preuve d’une extrême fermeté ». Ici comme ailleurs, la véhémence n’a pas à être de mise et l’usage des armes n’est ni adapté, ni proportionné à la gestion de ces conflits. Nous sommes en droit d’exiger plus de maîtrise et de retenue des forces de l’ordre, surentraînées au contact.
Macabre concomitance dont nous avons tardé à prendre conscience : ce vendredi 7 novembre 2014 était aussi le dixième anniversaire — jour pour jour — de la mort de Sébastien Briat. Lui est décédé lors d’une action menée contre les transports de déchets radioactifs, à Avricourt, le 7 novembre 2004 (c’est là : ▶). Trois personnes ont tenu a rappeler cette concordance de date et de combat en arborant cette pancarte en forme de faire-part (cf. illustration) en leur mémoire.
Rémi rejoint le morbide registre de ceux morts pour leurs idées [2]. Pour le mouvement antinucléaire, trois noms chers aux militants de cette cause occupent le macabre podium. Sébastien Briat (cf. supra). Le reporter photographe Fernando Pereira (néerlandais d’origine portugaise) tué le 10 juillet 1985 dans l’inique sabordage du Rainbow Warrior, navire amiral de Greenpeace (c’est là : ▶), commandité par le sinistre ministre PS de la défense, Charles Hernu, et perpétré par les services secrets français de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) dans le port d’Auckland, à l’aide de deux bombes magnétiques. Enfin, Vital Michalon, mort lors de la manifestation contre Superphénix, à Creys-Malville, le 31 juillet 1977 (c’est là : ▶). C’est encore une rigidité préfectorale et une démesure des moyens répressifs mis en œuvre qui aboutira à la mort de Vital. Le préfet de l’Isère de l’époque, René Jannin, n’avait pas hésité à qualifier la participation d’Allemands à la manifestation « d’occupation boche » et prévenu : « S’il le faut, je ferai ouvrir le feu sur les contestataires ».
Depuis les ratonnades de la Goutte-d’Or en avril 1961, puis les massacres du 17 octobre de la même année (nuit de la sanguinaire répression d’Algériens manifestant pour le droit à l’indépendance, diligentée et couverte par le préfet Maurice Papon) et du métro de Charonne l’année suivante, des manifestants meurent encore de la répression policière. On se souvient évidemment de la mort de Gilles Tautin, en 1968, de Malik Oussekine, en décembre 1986, et de ceux cités plus haut et trop d’autres. Au-delà des seules manifestations, le site Basta ! (c’est là : ▶) propose une base de données des interventions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort remontant à cette funeste date du 17 octobre 1961 (cf. supra).
Rémi, comme Vital Michalon, est mort d’un engin létal — une grenade offensive (elles se déclinent aussi en défensives, de désencerclement, etc.) — fabriqué dans notre département, chez Alsetex, Alsacienne d’études et d’explosifs. Une entreprise plus connue, pour les plus âgés, sous le nom de Malpaire [3], à Précigné, qui pleure d’ailleurs une de ces employées, décédée cette année, d’une explosion dans ce même établissement, le 24 juin 2014. Entreprise classée AS SEVESO SEUIL HAUT, qui mégotte également le financement du renforcement de la sécurité des biens et personnes du voisinage. Le fait d’être militaire, CRS ou garde mobile, est sans doute plus souvent une nécessité économique qu’un choix professionnel ou idéologique. Idem pour les salariés de ces entreprises mortifères qui n’ont bien souvent d’autre choix — surtout présentement — mais, de grâce, qu’on ne me dise plus aussi naïvement, voire cyniquement : « Si ce n’était pas nous qui les fabriquions, c’en serait d’autres… » Il suffit ! Cette pyrotechnie-là tue ! On n’acquiert pas la vertu en s’exonérant de la sorte. Les situations peuvent être énoncées, expliquées, entendues, comprises, PAS avalisées et légitimées ainsi.
(1) Appelé par : le NPA 72, le collectif 72 opposé au projet de NDDL, l’UNEF Le Mans, la FSU 72, le PG 72, Ensemble 72, le PCF 72 et AL 72).
(2) Le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, promoteur du projet, déclarait cyniquement au lendemain de la mort de Rémi : « Mourir pour des idées, c’est une chose, mais c’est quand même relativement bête », allusion à la chanson de G. Brassens : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ». Hélas, nul ne verra jamais la belle canitie de Rémi !
(3) Malpaire ou la mémoire impossible (1999). C’est aussi un beau texte de Jean-Pierre Tétart, décédé en juin 2014, interprété par Didier Bardoux, qui relate l’histoire de son père qui y travaillait.
Illustration : original inconnu, emprunté ici au site : http://clap33.over-blog.com. » Faire-part » : SDN 72.
Addendum : mardi 9 janvier 2018, la justice à délivré une ordonnance de non-lieu à l’encontre du gendarme responsable du tir de grenade offensive qui avait entrainé la mort de Rémi Fraisse !