Lundi 15 juin 2015 — Centre hospitalier du Mans
Comment redonner du sens à notre travail ? Comment « bien vivre au travail » ? Le Syndicat CGT du centre hospitalier du Mans conduisait une soirée-débat sur le burn-out (épuisement professionnel), le lundi 15 juin 2015, à l’IFSI du centre hospitalier. L’exposé des motifs est excellemment introduit, ici (1).
L’objet de ce billet n’est pas de revenir sur les interventions des quatre invités (2 et 3) ni d’interférer a posteriori dans ce débat, il n’a pour tout objet que d’apporter un éclairage à nos lecteurs sur l’un des quatre débatteurs : Dominique Huez, médecin du travail. Mais, médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon-Avoine (Indre-et-Loire).
Depuis 1978, la carrière de Dominique Huez a entièrement été consacrée à la médecine du travail, dont trente ans au SST de la centrale nucléaire de Chinon. Parallèlement, il a aussi été secrétaire général du syndicat national CGT des médecins du travail des industries électriques et gazières. Accessoirement, il lui arrive aussi d’exprimer quelques avis sur l’exposition des travailleurs aux radiations, aussi contrôlées soient-elles (4).
Ces dernières années, il s’est retrouvé bien malgré lui sous les feux de l’actualité. Alors qu’il s’embarquait dans sa préretraite, il va être poursuivi par la société Orys, un sous-traitant d’EDF, à cause d’un certificat de travail produit par un salarié dans un contentieux prud’hommal visant réparation des dommages qu’il a subis. Un certificat rédigé le 2 décembre 2011 dans lequel il fait le lien entre la dépression du salarié (M. V. A.) et ses conditions de travail. Ce dernier, un soudeur, trentenaire, travaillant sur la maintenance des moteurs électriques, avait exercé par le passé un droit de retrait pour chaleur excessive et crainte de contamination à l’amiante. Sans doute la goutte qui fera déborder le vase, ce qui lui vaudra à la suite d’avoir à intervenir loin de chez lui. Bref ! une mesure de rétorsion visant à mettre au pas cet emmerdeur (en langage de gestionnaire sorti des points de communication officielle, bien sûr). Ce salarié avait sollicité un entretien avec le médecin de l’entreprise. A l’issu d’un long échange, redoutant un geste irréversible, le toubib avait alors diagnostiqué une pathologie anxio-dépressive en raison « du vécu de maltraitance professionnelle ».
Sommé de s’expliquer par l’ordre des médecins, Dominique Huez justifiera doctement son analyse : « Je l’ai beaucoup fait parler. Je lui ai demandé de me raconter très précisément ce qu’il faisait. Pas seulement sa fiche de poste, mais son activité réelle. Au final, j’ai eu la certitude de ne pas avoir à faire à un paranoïaque ou à quelqu’un de fragile psychologiquement, et j’ai rendu mon diagnostic sur un certificat de deux pages ». Pas du ressenti subjectif, un authentique travail de clinique médicale, loin du certificat de complaisance subodoré ici.
Droit dans ses bottes, la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins l’a condamné à un avertissement et au paiement de 35 € à la société Orys, en décembre 2013, lien. Dominique Huez a fait appel de la décision (en cours).
Brocardé depuis toujours, l’allégeance de l’ordre des médecins au pouvoir ne remonte pas qu’à sa création sous le régime de Pétain, bien qu’il se défende de toute instrumentalisation ! Syndicaliste, le docteur Huez observe au quotidien l’évolution des pressions au travail mais aussi sur ces pairs « effrayés par la possibilité d’un blâme, craignant d’être stigmatisés comme des praticiens non respectueux de l’éthique » au point que « de nombreux médecins attaqués renient leurs certificats » là où ils sont censés veiller sur la santé des salariés.
Les salariés jetables de l’industrie nucléaire (20 000 intérimaires, souvent appelés « nomades du nucléaire ») subissent des conditions de travail insupportables et une énorme pression, plus encore que les personnels d’EDF et d’Areva. L’énorme déficit financier d’Areva et sa reconfiguration avec 6 000 emplois menacés, la pression sur la masse salariale, l’allongement de la durée du travail de 32 à 35 heures chez les cadres d’EDF (30 000 cadres, soit 42 % des effectifs d’EDF) actuellement en discussion ne manquera pas de plomber plus encore l’étreinte salariale. Et l’on sait que la dépression (Andreas Lubitz), et/ou des convictions (Yassin Salhi, présumés coupable de l’attentat d’Air Produits) peut mener à n’importe quelle dérive.
(1) Après le stress, le harcèlement et les risques psychosociaux, le burn-out est en train de devenir le « nouveau mal » de la décennie. Cette pathologie liée au travail et à son intensification provoque des dégâts considérables chez les salarié(e)s. Surcharge de travail, nouvelles méthodes de gestion des organisations, remise en cause des collectifs de travail, etc., le mal est profond !
(2) Les quatre conférenciers :
• Gérard Filoche (ancien) Inspecteur du travail CGT (auteur de nombreux livres sur la condition salariale)
• Marlène Schiappa, coauteur de « J’arrête de m’épuiser », élue de la société civile à la ville du Mans
• Dominique Huez, secrétaire général du syndicat national CGT des médecins du travail des industries électriques et gazières, mais (était) aussi médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon-Avoine.
• Isabelle Crouzer-Godard, experte de la santé au travail – CGT.
(3) Dominique Huez trouve le terme burn out imprécis et inapproprié pour traduire les arguments médicaux reconnus pour la défense des salarié(e)s, alors que la nomenclature médicale, à la disposition des médecins, répertorie déjà précisément les symptômes de pathologies psychiques traduisant l’accumulation du stress qu’ils subissent.
(4) Une petite vidéo du Dr Huez sur Arte, sur la reconnaissance des cancers professionnels du aux rayons ionisants, lien.
Le site du syndicat CGT du centre hospitalier du Mans, c’est là : ? .
Affiche : Syndicat CGT, Centre hospitalier du Mans.