200 000 pas à Bure, le 5 juin 2016


Dimanche 5 juin 2016 – Bure (Meuse)

Sorte de copié-collé du rassemblement de l’an dernier (c’est là : ?), lesdits pas (jaugés à 100 000 en 2015) s’envisageaient multipliés par deux cette année ! Comme l’an passé, quelques-uns des plus ardents du groupe SDN 72 et périphériques étaient de ce rendez-vous éloigné, quand d’autres membres s’affairaient ailleurs, en d’autres lieux d’expression ou de structuration anti-nucléaires, ou la tolérant [1].

CIGéo, le terrier chthonien [2]

aff 200000-pas à BureC’est un projet de méga-poubelle atomique (à 500 m sous terre, plus de 300 km de galeries, annexant 30 km2 de terres arables) malhonnêtement masqué par l’acronyme CIGéo (Centre industriel de stockage géologique), taisant son inavouable fonction de centre d’enfouissement de déchets atomiques HA-VL et MA-VL (à haute et moyenne activité à vie longue), une broutille qui nous projette à des dizaines de milliers d’années. Autant dire l’éternité ! Un centre auquel la Sarthe, et plus encore la Mayenne, on l’oublie trop souvent, ont échappé dans les années 2000, alors que l’ANDRA projetait ce même type d’enfouissement dans le granite, à Izé (à 10 km de Sillé-le-Guillaume), c’est là : ?. À la même époque, le département était cerné par deux autre projets, à Athis-de-l’Orne et au Bourg-d’Iré. Autant dire que ce qui n’a pas réussi à s’imposer aux Sarthois du nord et surtout aux Mayennais, et plus loin, aux habitants de l’Orne et du Segréen en Maine-et-Loire, grâce à leur mobilisation — qu’ils en soient ici tous remerciés — s’est d’autant plus imposé ailleurs, en des territoires encore plus démunis, plus dépeuplés (selon l’équation moins d’habitants = moins d’opposants), aux collectivités sans moyens, assujetties et/ou représentées par des mandataires peu regardants.

La preuve par neuf

200000 pas à Bure-2

Pour ceux qui en douteraient, les risques d’accidents dans ce type d’installation, tremblement de terre, explosion (d’hydrogène notamment, conséquence de la radiolyse des colis), incendie et autres dispersions radioactives à grande échelle sont bien réels, imprévisibles et sans solution…

Où l’on revient à notre voisine, la petite commune d’Izé ! Le 10 juillet 2012, elle sera l’épicentre d’une secousse sismique de 3,4 sur l’échelle de Richter, c’est là : ?. Elle avait été de 5,5 antérieurement dans le Segréen  en 1967… Des aléas totalement incompatibles avec ce type de catacombe atomique en des lieux qu’on devine exposés à des répliques plus importantes [3].

Sauf à perdre la mémoire, on se souvient que le 14 février 2014 (et jours suivants), les États-Unis avaient frôlé une catastrophe suite à une explosion d’origine chimique avec relâchement de radioéléments, qui s’était produite au centre de stockage de déchets nucléaires de WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), à 40 km de Carlsbad au Nouveau Mexique. En cause, selon le laboratoire national de Savannah River, l’absorbant des déchets nucléaires liquides… De la litière pour chat… organique en lieu et place d’une non organique ! Une interaction chimique va créer des gaz, augmenter la chaleur et la pression à l’intérieur des « emballages », jusqu’à l’incendie et leur rupture. L’histoire pourrait prêter à rire si elle ne s’était soldée par une tragique contamination — à de « bas niveaux » de radiation, nous laisse-t-on entendre (sic) — pour vingt et un salariés et l’émission d’isotopes sur une large zone. Cet « incident » avait été précédé, une semaine auparavant, dans une galerie, de l’incendie d’un camion utilisé pour évacuer du sel excavé !

La rando « active »

Monument CIGEOEn matinée, environ cinq cents randonneurs ont arpenté les trois parcours (7, 12 et 19 km) dûment fléchés et joliment ornés de créations plastiques (certifiées sans dérivés pétrochimiques) empruntant l’ancienne ligne de chemin de fer dont la réfection est prévue pour l’acheminement des futurs « colis » de déchets nucléaires, au rythme de deux trains par semaine pendant un siècle. Marches suivies d’un grand cortège de tracteurs puis d’un pique-nique devant l’improprement dénommé « Labo » de Bure, prélude d’un enfouissement programmé des déchets nucléaires les plus nocifs. Un moment convivial qui a fait grimper près de deux mille opposants, agrémenté de sa partie culturelle et festive en début d’après-midi. Avec les chorales révolutionnaires, le groupe Bur’Hâleurs et les prises de parole des agriculteurs, riverains, organisations et délégations étrangères ont alerté sur cette nécropole nucléaire, mais aussi sur l’annexion actuelle des terres agricoles et des forêts autour de Bure. Les fouineurs, bibliophiles, philo-pins, pouvaient également retrouver toutes sortes de documentations et d’objets ostentatoires dans les stands des groupes locaux opposés au projet CIGéo, du Réseau Sortir du nucléaire, de la Confédération paysanne et autres associations en pétard, en d’autres lieux et sujets convergents de luttes… et/ou participer à des ateliers. Acmé de cette journée, le grand concert de percussions, en principe mono-instrumental, à partir de vieilles casseroles apportées par les participant.e.s symbolisait toutes celles que traîne l’ANDRA. Mais d’autres pièces de batterie de cuisine ont aussi participé au tintamarre et à la parure du monstre (cf. plus loin). Une construction solidaire et collective d’un imposant et maléfique épouvantail à tête de M 51 (missile nucléaire balistique français) était juché sur un gabion de pierres sèches et habillé des casseroles du happening (cf. photo).

Déclaration choisie (en fait, nous n’avons pas les autres…)

C’est Martial Château (coprésident de SDN 72 et administrateur de la structure nationale) qui a lu la déclaration du et pour le Réseau Sortir du nucléaire. Déclaration qu’il avait rédigée en accord avec Corinne François (du Collectif Bure-Stop) qui, elle, est intervenue sur le projet CIGéo. Nous publions ci-dessous le discours écrit et lu par Martial : 

« La filière nucléaire, démagogiquement présentée depuis des décennies comme le fleuron de l’industrie française, est dans une passe industrielle et financière périlleuse :

— Fiasco de l’EPR de Flamanville, réacteur qui devait servir de vitrine pour l’exportation, qui accumule un retard d’au moins six ans et un coût dépassant les 10 milliards d’euros.
— Les travaux du grand rafistolage des réacteurs vieillissants sont très mal partis, à l’exemple du réacteur 2 de Paluel qui est sans doute condamné suite à l’incendie du titane du condenseur et à la chute d’un générateur de vapeur de 465 tonnes, accident qu’EDF considérait comme impossible.
— Révélation de la fabrication par Creusot Forge de pièces métallurgiques de qualité douteuse dont certaines sont installées sur des réacteurs (Graveline 2 et Bugey 2 ?) en fonctionnement au mépris de la plus élémentaire sûreté.
— Usure prématurée d’installation à La Hague.
— Déboires financiers d’AREVA et endettement d’EDF catastrophique à 37 milliards.
— Impossible gestion des déchets nucléaires.
Et je pourrais continuer avec les chantiers de l’EPR finlandais, d’ITER, Astrid, Horowitz…
Malgré ce constat, Pierre-Franck Chevet, lors de sa présentation du rapport 2015 de l’ASN, s’est voulu rassurant, tout en reconnaissant une inquiétude pour l’avenir.
Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, tout comme Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCLI, n’exclut plus la possibilité d’un accident majeur en Europe mais l’ASN n’en continue pas moins à donner des autorisations de fonctionnement pour des réacteurs obsolètes comme elle l’a fait pour Fessenheim.
Il est plus qu’urgent que l’ASN transforme ses alertes permanentes sur le risque de survenue de catastrophe nucléaire en France en actes concrets à travers la mise à l’arrêt immédiat de tous les réacteurs ayant dépassé les trente ans de fonctionnement.
Il est plus qu’urgent que nos gouvernants et la plupart des partis politiques prennent conscience de la réalité de l’impasse du nucléaire et décident l’arrêt du nucléaire, énergie de destruction massive.
En Europe, la production excédentaire d’électricité fait chuter les cours du MWh et plombe les comptes d’EDF, principal exportateur européen d’électricité. La Cour des comptes propose pour y remédier la fermeture d’une vingtaine de réacteurs et notre gouvernement tergiverse et semble incapable de prendre cette décision de fermeture de réacteurs, y compris pour Fessenheim !
Il est plus que jamais nécessaire, comme nous venons de le faire aujourd’hui contre CIGéo, d’amplifier les mobilisations.
Le Réseau Sortir du nucléaire vous invite à participer aux prochaines initiatives :
— au rassemblement et fête de Notre-Dame-des-Landes les 9 et 10 juillet, quel que soit le résultat de la consultation imposée, la lutte se poursuivra ;
— aux initiatives anti-nucléaires militaires de l’été, une priorité au moment où les pays ayant la bombe atomique modernisent leur arsenal (1000 milliards de dollars sur trente ans pour les Etats Unis) ;
— à manifester les 1er et 2 octobre à Flamanville notre opposition à toute nouvelle construction de réacteurs, à demander l’abandon du chantier de l’EPR, à refuser le rafistolage des vieux réacteurs et plus globalement l’arrêt du nucléaire, énergie de destruction massive !
Avant la catastrophe nucléaire, arrêtons les frais ! »

Cette mobilisation était coorganisée par les collectifs et associations « les 200 000 pas à Bure » (Bure Stop 55, Bure Zone Libre, CEDRA 52, EODRA, Les Habitants vigilants de Gondrecourt-le-Château) et le soutien du Réseau Sortir du nucléaire.

Harcèlement textuel

Elle intervenait peu de temps après que Gérard Longuet et Christian Namy aient déposé une proposition de loi, discutée et adoptée par le Sénat le 17 mai (votée par 333 sénateurs sur 343, dont les 3 de la Sarthe), définissant la notion d’un stockage réversible, via une phase pilote (de tests), pour précipiter le projet CIGéo. Un énième forcing de ce sénateur et de ses affidés, parlementaires meusiens et d’autres comme Christian Bataille ou Jean-Yves Le Déaut, pour faire passer le projet en douce. Confère l’article 201 portant sur la gestion des déchets nucléaires stockés en profondeur, introduit à pas d’heure par François Brottes dans le corps de la loi Macron et adoptée définitivement le 10 juillet 2015 [4], fort heureusement retoqué par le Conseil constitutionnel le 5 août. Entre septembre 2014 et juillet 2015, pas moins de 13 amendements ont été déposés à dix reprises, 6 à l’Assemblée nationale et 7 au Sénat. Sauf rebondissement, la loi Longuet-Namy sur CIGéo sera au calendrier de l’Assemblée nationale le 11 juillet à venir).


En novembre dernier (2015), le collectif Terres de Bure avait ensemencé un champ convoité par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), une opération baptisée « Semis radieux », symbolisant l’enracinement définitif de la résistance au projet. Terres qui seront retournées quelques semaines plus tard par l’industrie du nucléaire sous prétexte de fouilles archéologiques…


[1] Réunion régionale de la coordination anti-nucléaire de la vallée de la Loire (en gestation) à Blois et la 9e CAN Ouest à Saint-Lô (Coordination des anti-nucléaires de l’Ouest, structure organisant le rassemblement de Flamanville des 1er et 2 octobre), le samedi. Fête de l’eau et des énergies, au Mans, ce même dimanche 5 juin (et pour certains, le défilé de la France insoumise à Paris et la Rando fermes de Saint-Aubin-de-Locquenay à Moitron-sur-Sarthe, organisée par la Confédération paysanne).

[2] Chthonien : divinités  telluriques (souterraines) dans la mythologie grecque par opposition aux divinités célestes (ouraniennes ou éoliennes).

[3] Le Mans sera sérieusement secoué le 6 octobre 1711, à tel point que l’ancien couvent des Visitandines (de 1634) sera reconstruit en 1714. Devenu couvent de la Visitation, le nouveau bâtiment abritera par la suite le palais de justice et la prison (en 1792) et prochainement la coop Le Fenouil, Le Mans Jazz Festival et des marchands du temple. Le Maine et surtout le nord de la Sarthe trembleront à nouveau sérieusement les 20 et 23 janvier 1892. On s’étonne, dès lors, que le sénateur-maire J.-C. Boulard (qui a voté la loi Longuet-Namy sur CIGéo), rapporteur au Conseil national des normes, soit parti en guerre au Sénat contre les dispositions anti-sismiques dans les zones à risque faible et très faible au prétexte que « les remparts du Mans, construits il y a plus de deux mille ans sans normes sismiques, ne s’étaient jamais effondrés » (lien).

Au risque de jouer les Cassandre, rappelons-lui que la centrale d’Avoine-Chinon (La Flèche en est à 56 km, Le Mans à 86) est située à proximité de la faille tectonique sud-armoricaine. Récemment, deux séismes ont agité la région. L’un le 5 novembre 2006, de magnitude 4 sur l’échelle de Richter, dont l’épicentre se situait à 10 km de la centrale, le second, de 4,2 celui-là, le 2 mai 2016, à disons 25 km au sud de la centrale. Deux secousses, certes modérées, qui n’ont étonnamment jamais déclenché les accéléromètres du système de détection sismique de la centrale. Il y a de quoi s’en étonner !

[4] « Cavalier » : dispositions n’ayant aucun lien avec le sujet traité par le projet de loi.


Photos SDN 72 et capture d’écran.