Samedi 25 juin 2017 — Belgique
Au moins UN des cinquante mille maillons de cette chaîne était sarthois et du groupe SdN 72 ! Au kilomètre 45 ! C’est peu, mais… c’est loin ! C’est aussi possible qu’il y en eut d’autres, mais nous n’en avons pas eu le retour. Les renseignements peut-être ? Va savoir !
La chaîne était organisée conjointement par des initiatives citoyennes belges, néerlandaises et allemandes et des associations autour de la plateforme Stop Tihange, soit : Fin du nucléaire (wallonne), 113eweging (flamande), WISE (World Information Service on Energy, néerlandaise) et Aachener Aktionsbündnis gegen Atomenergie (Action Aachener [habitants d’Aix-la-Chapelle] contre l’énergie nucléaire, allemande).
Des chiffres et des lettres
50 000 ! Une excellente surprise pour les organisateurs qui n’avaient enregistré « que » (selon les organisateurs) 28 000 inscriptions et un bonus pour la mouvance antinucléaire transfrontalière [1]. 90 km ! C’est la distance entre Tihange 2 (Belgique), Huy exactement, près de Liège, et Aix-la-Chapelle (en Allemagne, soit : Aachen en allemand) via la « Cité ardente », Liège (on vous fait grâce de renseigner cette parenthèse) et Maastricht (Pays-Bas). Le message de cette ribambelle internationale portait sur la fermeture immédiate des réacteurs Tihange 2 et Doel 3 (sur l’estuaire de l’Escaut) [2] sans pour autant oublier les cinq autres, bien entendu [3]. Et ce message se déclinait bien au-delà des langues usuelles des trois nationalités reliées ce jour, entre 14 et 16 heures, main dans la main. Ces deux réacteurs de 1 008 et 1 006 MWe ont été arrêtés pendant presque trois ans au cours de la période 2012-2015. Vieux, ils ont dépassé la limite d’âge qui avait été fixée à trente ans lors de leur conception et qu’en « tout mal, tout horreur » le gouvernement fédéral belge s’apprête à prolonger d’une décennie. Sept des réacteurs belges ont plus de trente ans et trois d’entre-eux, qui ont déjà bénéficié d’un sursis, ont plus de quarante ! Trente années de sollicitations thermiques et mécaniques dues à d’intenses bombardements neutroniques de la cuve des réacteurs ont pourtant fragilisé l’acier des chaudrons. Du coup, pour ce qui est de celle du réacteur T2 de Tihange, 3 149 fissures ont été détectées (les plus grosses atteignent 15,4 cm, leur profondeur variant de 0,5 à 15 cm, pour une paroi d’environ 20 cm). Plus de 13 000 sur la cuve du réacteur D3 de Doel (forgée par le groupe néerlandais aujourd’hui disparu Rotterdamsche Droogdok Maatschappij [RDM]) [4]. Outre ces innombrables fragilités, le parc nucléaire belge, à l’instar du français, rencontre d’innombrables avatars : instabilité de terrain, survol de mystérieux drones et au moins une menace terroriste avérée (vidéo d’une dizaine d’heures retrouvée lors d’une perquisition menée au domicile de Mohamed Bakkali, dans le cadre du volet belge de l’enquête après le triple attentat de Paris du 13 novembre 2015) et même un très sérieux sabotage en interne à Doel 4 (perte de 65 000 litres d’huile sur la turbine à vapeur engendrant d’importants dégâts et l’arrêt du réacteur). Une malveillance d’un coût de plus de 100 millions d’euros, qui, bon an mal an, se laisse étrangement oublier. Evidemment, ce court inventaire n’est pas, et ne se veut pas, exhaustif ! Pernicieuse information complémentaire : Lille – Doel, c’est 115 km. Lille – Tihange, 157 km. Charleville-Mézière – Tihange, 95 km. Le Mans – Tihange, 465 km [à vol d’oiseau, distance orthodromique].
GDF, GDF-Suez, Engie, Electrabel…
Tihange 2 et Doel 3 sont exploitées par Electrabel, tout comme l’ensemble du parc de production d’électricité belge d’origine nucléaire. L’entreprise Electrabel est une filiale du groupe Engie (ex-GDF Suez), actionnaire à 100 %. Son président est d’ailleurs Jean-François Cirelli, vice-président-directeur général délégué du groupe Engie (France). Au Bénélux, Electrabel est aussi active dans les centrales à flamme (fuel, charbon, gaz), les centrales de pompage et, à la marge, dans les EnR.
La complémentarité franco-belge en matière nucléaire est antérieure aux années soixante. Dès cette époque, leur mutuel besoin de s’approvisionner en uranium enrichi auprès du seul producteur états-unien les conduira à se rapprocher. Dans le cadre d’un accord de coopération Euratom-États-Unis et le truchement de la Société SENA (Société d’énergie nucléaire des Ardennes, constituée entre EDF et une compagnie d’électricité belge), les deux pays construiront (de 1962 à 1967) et exploiteront à parité la première tranche de la centrale nucléaire (souterraine) Chooz A, dans les Ardennes françaises (1967 à 1991).
Y a de l’eau dans le gaz et même de l’électricité dans l’air
Si le message a été fort et massif, il ne semble pourtant pas avoir provoqué de débat à la hauteur de cette mobilisation citoyenne. Campé dans ses bottes, l’État belge reste sourd aux inquiétudes de la population outre-quiévraine et à celles vivant par-delà ses frontières. Electrabel aussi reste sourde, muette et aveugle aux réserves exprimées par le directeur général de l’Agence fédérale du contrôle nucléaire [5], Jan Bens, s’inquiétant des «valeurs alarmantes des probabilités de fusion de cœur nucléaire résultant des études Fire PSA ». Même le ton au-dessus de son courrier adressé à Isabelle Kocher, présidente du conseil d’administration d’Electrabel et responsable du groupe Engie, n’y change rien : « Nous souhaitons vous faire part de notre préoccupation, voire de notre forte inquiétude, quant à la gestion par Electrabel de ses activités nucléaires en Belgique, quant à l’insuffisance de proactivité dont fait preuve Electrabel en matière d’actions qui permettraient de faire évoluer positivement le niveau de sûreté et/ou de culture de sûreté, quant à la situation actuelle à la centrale nucléaire de Tihange, et surtout quant à notre perception de l’incapacité, depuis maintenant un peu plus d’un an, d’Electrabel à réagir structurellement, rapidement et efficacement pour augmenter de manière significative le niveau de sûreté et atteindre le niveau d’excellence qu’Electrabel déclare viser. » Le ton est châtié mais l’admonestation claire! Et la communication d’Engie « By people for people » moins évidente au lendemain de ce revers politique et médiatique.
Pour autant, la susdite AFCN autorisera la poursuite d’activité des réacteurs malgré les innombrables fissures des cuves évoquées. Comprenne qui pourra ! C’est sans surprise qu’on retrouve cette même ambivalence chez sa consœur française qui aura à valider — ou recaler — la cuve et le couvercle de l’EPR de Flamanville, installés en dépit de leurs défauts connus.
Dans le domaine nucléaire, « le plat pays » nage aussi en plein surréalisme « libéré de toute contrainte et de toute logique » !
[1] La chaîne humaine dans le corridor nucléaire de la vallée du Rhône, le 11 mars 2012, en avait réunit 60 000, sur une distance entre Lyon et Avignon deux fois et demie plus importante. Des Sarthois, plus nombreux, en étaient, c’est là : ▶.
[2] Dont : la reconversion des emplois que cette fermeture provoque ; la mise en place d’un programme cohérent d’énergies renouvelables pour pallier la fermeture ; la mise en place d’une politique de prix juste de l’énergie.
[3] Le parc nucléaire belge (en raccourci) est composé de deux centrales nucléaires, dont sept réacteurs en service (bien que très souvent à l’arrêt, l’intermittence n’est pas propre qu’au solaire et à l’éolien…) : Doel 1, 2, 3 et 4, Tihange 1, 2 et 3 (tous de type REP [PWR en anglais]). La centrale de Mol : SCK-CEN, Centre d’étude de l’énergie nucléaire (en néerlandais : Studie Centrum voor Kernenergie) en recelait trois de puissances inégales BR 1 (expérimentations), BR 2 (essais matériaux, etc.) et BR 3. Ce dernier (arrêté en 1985) servira principalement à l’entraînement des opérateurs et à des essais de combustibles, dont du MOX. Avec son démantèlement, la Belgique s’envisage — elle aussi — comme une nation pilote à l’international en matière de déconstruction de réacteur ! Comme à Bure (France), la Belgique développe son propre (!) laboratoire de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde dans l’argile depuis 1974. Un projet nommé HADES, en référence à Hadès, le maître des Enfers, à qui le sort attribua le monde souterrain et le royaume des morts !
[4] Des fissures (moins nombreuses et importantes nous dit-on) qu’on retrouve également sur le parc nucléaire français : sur le réacteur 1 de Tricastin, Fessenheim 1 et 2, Chinon B-3, Gravelines 6, Blayais 2, Dampierre 3, Saint-Laurent B-1 et B-2…
[5] Équivalent de l’ASN, Autorité de sûreté nucléaire, en France.
Affiche/bandeau/logo : Stop Tihange ??? Dessin : Jean-Loïs et « X ». Photo : SdN 72.
Des vidéos au hasard : (brève explication) ▶, ▶, (aérienne) ▶, (axélérée) ▶, Des photos en veux-tu en voilà : ▶.
Addendum : une digression à notre sujet nucléaire, mais une info quand même (sans en juger ici les teneurs idéologiques) relative aux chaînes humaines, brocardées par les uns pour « bisounoursisme », retenues par d’autres comme un des moyens d’interpeller les populations et les « autorités. »
Baptisée La voie balte, le 23 août 1989 environ deux millions de Baltes, d’Estonie, Lettonie et Lituanie (sur environ sept millions d’habitants) avaient formé une chaîne humaine reliant les trois capitales : Vilnius, Riga et Tallinn (plus de 610 km) en criant verbatus, verbatus ! (liberté) et en chantant La baltique se réveille. La cause ? C’est qu’un an auparavant, jour pour jour, en pleine glasnost et perestroïka, la presse avait révélé le pacte Molotov-Ribbentrop signé en 1939 par les ministres des Affaires étrangères de l’Union soviétique et de l’Allemagne nazie, répartissant les territoires situés entre les frontières de ces deux pays, dont les trois États baltes qui seront annexés à l’URSS en juin 1940.