Lundi 26 octobre 2020, 17 h 20 – Le Mans, Sarthe…
Ce dernier lundi d’octobre, le premier des trente et un convois d’uranium enrichi — neuf — prévu pour un jour être chargé et « diverger » au sein de la passoire qui sert de cuve à l’EPR de Flamanville (l’acier de la calotte de fond et son couvercle étant avérés hors normes) a traversé (ou pas) tout le département (et la France sur 1000 km), du sud au nord, par l’A28 (photos de Greenpeace Le Mans, infra).
Vigies, pistage…
La probabilité de ce transport avait largement été éventé (réunion préalable large, organisation d’une mobilisation commune et communiqué dont SdN 72 était cosignataire, c’est ici : ▶).
La veille, avec Greenpeace Le Mans, nous avions alerté les automobilistes et le public via la recension de notre action dans la presse locale sur ces futures navettes de combustible nucléaire à venir en mobilisant une bonne dizaine de militant·e·s muni·e·s de banderoles sur le pont enjambant l’autoroute, à côté de la déchetterie de Saint-Saturnin, c’est là : ▶. Tous prêts à y rappliquer à la première alerte de passage du premier des trente et un transports à venir (infra).
L’opportunité s’est présentée dès le lendemain. À l’heure du laitier — à 6 heures —, un, puis deux camions dûment escortés quittent la filiale d’EDF Framatome de Roman-sur-Isère (Drôme). Tout aussi matinaux, les militants antinucléaires et de Greenpeace sont du comité d’accueil et… du comité de suivi. Embrouille : deux autres camions vont sortir de l’usine vers 8 heures. Trois sont de trop et vont être, un temps, considérés comme autant de leurres sans qu’il soit possible de les identifier. Le premier et le quatrième vont finalement être écartés. L’un bifurquera vers le sud-ouest, l’autre continuera vers le nord-nord-est de Paris, sans doute affrétés au renouvellement partiel en combustible des réacteurs de Golfech ou du Blayais et à ceux de Paluel, Penly ou Gravelines. Restent à pister un vrai et un faux convoi. Un stratagème tordu, sans doute élaboré de commun accord entre EDF et Orano TNI (Transport Nucléaire International) chargé de l’acheminement qui va compliquer à dessein le repérage des vigies militantes.
À hauteur du Mans, la fourchette de passage du convoi démarre à 17 h 30. Finalement, ce sera 17 h 20, à la sortie nord du Mans ! À l’approche de la capitale de la vitesse et de l’endurance, le chauffeur se serait-il pris pour le pilote Fangio ? Un seul militant — de Greenpeace — est en avance au rendez-vous (nous arrivons hélas peu après avec nos banderoles !).
Nous lui devons ces trois photos du convoi (reprises de nombreuses fois sur le web), immortalisant ce passage dans la mémoire de tous ceux qui veulent bien le voir et « l’entendre ».
Ce convoi exceptionnel est passé par Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Bourges, Tours, Le Mans, Alençon, Caen, Carentan, Cherbourg. En l’état, pour ce type de livraison et cette destination, deux autres tracés sont possibles.
Ce convoi arrivera vers 22 heures à destination. Le second, passé par la région parisienne, Rouen et Caen, vers minuit. Seul, ce dernier transportait véritablement 1/30e du combustible destiné au lancement de l’EPR… Un combustible (régulièrement renouvelé) qui sera opérationnel une soixantaine d’années et des centaines de milliers d’autres en tant que déchets, si, d’aventure, le réacteur F3 de Flamanville diverge un jour. Le chargement du combustible dans la cuve du réacteur reste cependant soumis à l’autorisation de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Et l’autorisation devra faire l’objet d’une consultation préalable du public… On sait, cependant, le grand cas que font nos autorités de ces consultations !
Le convoi qui a traversé la Sarthe était finalement un leurre (une fourberie qui a un coût et qu’EDF et Orano auront du mal à répliquer aux prochains convois) ! Ce vrai faux convoi nous en rappelle cependant un autre… (infra).
Avec cette livraison complètement prématurée, effectuée avec la bénédiction irrationnelle de l’ASN (un « gendarme du nucléaire » finalement assez complaisant), la stratégie du fait accompli d’EDF vise rien moins qu’à forcer le bras à l’État, aux politiques, financiers, décideurs, influenceurs… Avec l’idée que la voie de la mise en service est sérieusement engagée et surtout irréversible ! Bref, lever les hésitations des éventuels acheteurs connus qui renâclent (Royaume-Uni, Inde, dont on nous annonce régulièrement la conclusion de six contrats) et des autres qui ne se bousculent pas au portillon.
Fragment de la logistique nucléaire pour les nul·le·s
On l’a vu, c’est Orano TNI (Transport Nucléaire International) qui s’est chargé de ce premier transport. 241 assemblages combustibles d’uranium enrichi sont censés rejoindre prochainement le site de Flamanville. Là, ils seront stockés dans la piscine du « bâtiment combustible » de l’EPR (inachevé et déjà à réparer !) avant de rejoindre le cœur (dégradé) du réacteur F3, pour un début de mise en production maintes fois différée et qui pourrait ne jamais fonctionner à son optimum. Aujourd’hui annoncé à la mi-2023 (au mieux, ou… au pire, il devait initialement démarrer fin 2011). La traîne peut accueillir quatre conteneurs FCC4, chacun pouvant accueillir deux assemblages, soit huit assemblages par véhicule. Si tout au long de l’opération, l’équation : 1 convoi égale 1 camion (un semi-remorque) perdure, trente et un transferts de Roman-sur-Isère à Flamanville sont prévisibles. À raison de deux convois par semaine — ce qui semble être le rythme retenu —, l’opération s’étalera sur seize semaines non-stop, sauf reconfinement, trêve des confiseurs, intempéries, obstructions…
L’ensemble — tracteur et remorque bâchée blanche — est quasi banalisé [1] (à la différence des « castors », facilement identifiables, lien plus loin). Mais l’escorte composée de trois véhicules de gendarmerie à l’avant et jusqu’à six autres à l’arrière peut néanmoins difficilement passer inaperçue. Une vidéo du convoi, filmée par Greenpeace — national — (qu’on remercie), est là :
Et, on ne vous dit rien de la rocambolesque technique du « yoyo » par la flotte de véhicules de sécurité accompagnants pour ne pas ralentir ni gêner le convoi consistant à bloquer le trafic venant des bretelles entrantes puisque nous l’avions déjà décrites ici : ▶.
Notre territoire, disons le Maine, est régulièrement traversé par des transports nucléaires, empruntant soit le réseau ferré [2], soit le réseau routier. Il l’est par des combustibles usés des réacteurs de l’ouest de la France rejoignant La Hague ; des déchets et du plutonium de retour de La Hague après retraitement ; possiblement par du combustible neuf pour les réacteurs F1 et F2 et désormais le F3 de Flamanville ; les allées et retours des armes nucléaires (nouvelles, pour les optimiser ou pour leur maintenance) entre la base sous-marine de l’Île-Longue et le CEA de Valduc (au nord-ouest de Dijon) ; pour le renouvellement en cobalt 60 et son retour de l’usine Ionisos [3] à Sablé-sur-Sarthe, etc. [4].
Selon l’ASN et l’IRSN, en moyenne 400 transports dudit combustible neuf à base d’uranium et une cinquantaine de transports de combustible tout aussi neuf de type « Mox » (de l’uranium, plus 7 % de plutonium) sillonnent le pays chaque année. 200 autres pour convoyer les combustibles irradiés vers l’usine Orano dite de « retraitement » de La Hague. Une centaine pour le transport du plutonium de cette même usine à l’usine Melox (produisant du Mox, supra) dans le Gard. 250 encore pour transports d’hexafluorure d’uranium servant à la fabrication du combustible. Ce n’est pas tout ! Chaque année, le cycle du combustible nucléaire — à usage civil — destiné aux centrales françaises totalise 19 000 transports annuels, pour 114 000 colis. Toutes substances radioactives confondues, utilisées dans l’industrie, la médecine, les laboratoires… c’est 980 000 colis, (hors usages militaires) qui arpentent nos villes et nos campagnes. Dont 96 % sont transportés par route.
Si nous — antinucléaires, écologistes, climatistes, acrates, contribuables atterrés, citoyens épris de liberté — « n’inversons pas la vapeur », elle sera produite au sein de l’EPR de Flamanville au risque qu’on lui adjoigne six petits frères, soit trois paires d’EPR NM (nouveau modèle) désormais nommé EPR 2 !
Un vrai faux convoi Prémonition ? Avec les deux structures régionales auxquelles SdN 72 participe (le CAN-Ouest et LLZN [5]), nous avions nous-mêmes organisé, du 23 au 27 mars 2019, un vrai faux convoi de combustible nucléaire vers ce même réacteur EPR de Flamanville. Nous l’avions fait partir de Chinon. À l’époque, nous pensions que le combustible serait d’abord acheminé de Romans-sur-Isère au magasin central de la centrale d’Avoine (au nord-ouest de Chinon, dans l’Indre-et-Loire). Le récit de cette chevauchée est là : ▶.
SdN 72 était aussi du rendez-vous « En manque de bulles… déambulons ! » organisée à Saint-Malo le 24 octobre. Les détails de cette originale journée sont ici : ▶. Les photos de l’action sont en ligne sur le site du CAN-Ouest (collectif auquel SdN 72 participe), c’est là : ▶.
[1] Sauf une discrète plaque signalétique rectangulaire orange 70-324 (qui signifie que c’est du combustible neuf) à l’avant et à l’arrière. On les identifiera (par défaut) à l’absence de promotion de la société de transport ou des produits transportés.
[2] Un de ces convois ferroviaires, stationné en gare de triage du Mans, avait été photographié par des militants du groupe SdN de l’époque. La preuve par neuf, ici : ▶.
[3] Cette source n’est renouvelée, qu’en partie, une fois l’an (généralement au mois de… bip, bip !). N’empêche que son acheminement (par bateau, du Canada au port du Havre, et par voie routière, du Havre à Sablé), son stockage après usage à Pouzauges et son retour au Canada demeurent des transports critiques (accidents, etc.) et vulnérables aux malveillances (bombe sale, par exemple).
[4] Et, évidemment, dans une bien moindre mesure, par les sources radioactives destinées aux hôpitaux, cliniques, cabinets dentaires…
[5] CAN-Ouest, Comité antinucléaire de l’Ouest, dont le site est ici : ▶ et LLZN, La Loire à zéro nucléaire (site en construction) qui s’appelait à l’époque Sortir du nucléaire Loire et Vienne (SDN-L&V), l’ex-site est là : ▶.
Crédit photos : Greenpeace Le Mans.
Addendum. — On sait depuis hier soir, mercredi 28 octobre, que la nouvelle mise en confinement de la population, mais aussi des militants progressistes, va complément anéantir toute contestation pour une période d’un mois (pour l’instant). Les transports d’uranium enrichi vont pouvoir se faire en toute quiétude… voire accélérer !