Ionisos Sablé : la direction se fait taper sur les doigts, ceux des salariés se cognent « les chocs par seconde »


Fin 2020 – Sablé-sur-Sarthe

C’est la période des fêtes, des cadeaux à tout-va, à en étouffer la planète (enfin, ses occupants). Des colis souvent commandés via Google, transportés par Amazon…

Suspendus après un premier convoi fin octobre, les livraisons de colis de combustible neuf d’uranium à l’EPR de Flamanville, c’est là : , devraient hélas reprendre prochainement.

De même, l’entreprise Ionisos de Sablé-sur-Sarthe devrait-être à nouveau ravitaillée en cobalt 60. Dans les règles de « l’art » ?

On est en droit d’en douter ! En début d’année, le 6 janvier 2020, une inspection inopinée menée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN, surnommée « gendarme du nucléaire » [1]), a eu lieu chez Ionisos, à Sablé-sur-Sarthe, seule installation du département à être classée Installation nucléaire de base (INB n° 154). Cette inspection avait pour objet « d’examiner l’ensemble des mesures mises en œuvre lors de l’opération de transport et de rechargement des sources radioactives de haute activité (du Cobalt 60 [2]) au sein de l’installation ». Une visite ciblée, ponctuelle et fléchée, au champ limité, mais aussi redondante. On va le voir, l’établissement cumule déjà plusieurs contrôles antérieurs pour cette même opération.

Seule, une synthèse partielle du rapport de cette visite est accessible au public sur le site de l’ASN, c’est là : (puis ouvrir le fichier en pdf : INSSN-NAN-2020-0663). Entreprise potentiellement vulnérable aux malveillances, d’autres de ses demandes et leurs retours sont par contre à diffusion restreinte. À  elle seule, cette impossible transparence du nucléaire est déjà une bonne raison d’être contre !

Bien que les inspecteurs — pour ce qui peut être communiqué — aient constaté une amélioration concernant la sécurité des sources et leur manutention depuis la précédente inspection [3], ils ont néanmoins, cette fois encore, pointés quelques écarts aux référentiels de sûreté.

Défaut d’immobilisation des deux chariots utilisés pour la manutention des colis (les sources radioactives et leurs emballages de transport !)

Si l’activité nucléaire de l’entreprise l’exclut d’un classement Seveso, elle est néanmoins à haut risque et classée INB (supra) pour utiliser et manipuler une matière hautement dangereuse, voire létale (cf. la même note 2). Non seulement les remorques de manutention des colis en question ne disposent pas d’un frein à pied d’origine propre à leur immobilisation (au chargement, déchargement, stationnement), mais ici, des pierres ont été employées en guise de cales pour le blocage des roues ! Barguigner sur un jeu de cales en caoutchouc dur… on est certes là, dans un investissement lourd !

Défaut d’arrimage des colis (les sources radioactives et leurs emballages de transport !) à la remorque

Les inspecteurs ont aussi consigné le risque de chute de l’emballage du chariot de transfert (une remorque à quatre roues) lors de son convoyage depuis l’extérieur (à la livraison) jusqu’à la casemate via son labyrinthe de protection d’entrée et de sortie. Un défaut  d’arrimage adapté (sangles, brides…) contrevenant au Rapport de sûreté (RDS) chapitre 6 « Analyse de sûreté » paragraphe « Risques liés à la manutention ». Un RDS pourtant avalisé par l’entreprise. Investissement prohibitif ou mégotage sur la sécurité ?

L’emploi de remorques non fermées

L’emploi d’une remorque fermée est aussi listée au RDS. L’entreprise aura à déclarer un EST (Événement significatif dans le transport), critère 5, « Non-respect des exigences de transport », ou, plus inquiétant encore pour la santé des opérateurs, un défaut d’écran supplémentaire entre les membres supérieurs des employés et l’emballage de la source radioactive, faut-il le rappeler ! Un  critère 3, celui-là, pointant un « Non-respect d’une limite réglementaire applicable à l’intensité de rayonnement ou à la contamination », la mesure du débit d’équivalent de dose se faisant par rapport au colis et non par rapport au véhicule. On le voit ici, la santé des opérateurs peut être directement impactée.

Le déplacement manuel à force humaine (poussé-tiré) de la remorque… avec contact des mains des opérateurs avec ledit « colis »

Alors que la mobilité électrique est vantée de toute part et présente en mode manutention depuis des décennies dans les entreprises (parfois hélas avec des propulsions gaz-pétrole dans des lieux fermés), on peine à croire qu’elle soit encore manuelle quand la charge de 3,7 t ici peut même culminer à 5,5 t à d’autres occasions, même si cette opération n’a cours guère plus d’une fois l’an.

Surtout, la poussée physique s’imprime via les mains de quatre opérateurs chargés de la manutention sur le corps de l’emballage de la source radioactive avec un risque non évalué d’exposition aux rayonnements ionisants des « extrémités » des travailleurs (les mains).

Dans sa lettre de suite, l’ASN somme quand même l’entreprise Ionisos de procéder à une analyse de sûreté complète intégrant des estimations ou des résultats de dosimétrie desdites extrémités des salariés.

Le retour d’expérience !

Ionisos aura à analyser, déclarer et renseigner tous ces manquements (et d’autres), et à mettre en œuvre des mesures correctives. N’allez pas croire que ce ne sont là que pinaillages et vaines procédures. Ces protocoles ont été mis en place à hauteur des risques encourus par les salariés, le voisinage, l’environnement et les éventuelles équipes de secours. Que nos lecteurs qui douteraient de la pertinences des signalements de ces inspections et de nos stigmatisations sachent ou se souviennent quand même que, lors d’une inspection plus antérieure encore, réalisée le 3 décembre 2014, les susdits inspecteurs avaient constaté que la grue mobile automotrice — louée et non vérifiée au préalable par l’entreprise — n’était homologuée que pour un port de charge de 2 000 kg quand la masse du colis + conteneur à déposer d’alors en faisait 3 700 kg [4], c’est là : (puis, ouvrir le fichier en pdf : INSSN-NAN-2014-0608). La règle établie étant d’utiliser un matériel de levage homologué à soulever a minima 120 % de la charge requise, soit 4 440 kg. Un différentiel de charge qui aurait pu avoir de fâcheuses conséquences et induire de sérieuses responsabilités.

Apprendre de ses erreurs

Si ce n’est déjà fait, dans les semaines ou mois à venir, un renouvellement partiel de la source de cobalt 60 aura probablement lieu. On ne sait si cette année encore les inspecteurs de l’IRSN seront présents ou pas à la dépose des sources radioactives et à leur installation. Quoiqu’il en soit, formulons instamment le vœu que — enfin — cette livraison et sa mise en place (zonage, équipements had-hoc, manutentions sécurisées…) soit en tout point irréprochable !


Notes

[1] Une haute autorité dite indépendante. Bizarrement, l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), qui se veut lui aussi indépendant et  impartial et qui mène aussi des investigations pour le compte de l’ASN (supra), a consacré deux pages (p. 22 et 23) de son webmag Repères n° 47 de novembre 2020 à l’unité Ionisos de Sablé-sur-Sarthe, c’est ici : . Titre : « Irradiation industrielle – Stériliser en sûreté ». Une pub ? Non ! Un publi-reportage ? Non plus, mais ce papier y ressemble étrangement. En matière de sûreté, tout est dans les clous. C’est aussi que l’étymologie nucléocrate inverse les contenus habituels des mots : sûreté et sécurité. Le titre de couverture annonce d’ailleurs « Mesures de sécurité pour un irradiateur industriel ».

[2] Dont la létalité (entraîne la mort), pour un être humain, hors toute protection à proximité de la source est de l’ordre de quelques secondes.

[3] Une inspection aux objectifs voisins, sinon identiques, avait été menée un an auparavant, le 10 janvier 2019. Secrètes et/ou accablantes, la totalité des observations de cette précédente visite ont fait l’objet d’une « diffusion restreinte » (entendre non publique), compte tenu des enjeux de sécurité c’est là : (puis, ouvrir le troisième fichier en pdf : INSNP-NAN-2019-0780).

[4] Le chapitre 7.3.1 des Règles générales d’exploitation (RGE) de l’installation indique qu’en amont des opérations de déchargement des conteneurs de transport de sources, il doit être vérifié que la grue louée a subi les contrôles périodiques par un organisme agréé, et que la charge maximale admissible réglementaire présente une sécurité d’au moins 20 % par rapport au poids de l’emballage à décharger.


Photo : SdN 72.

Idem pour le retour des sources usées au Canada via un séjour à Pouzauges (autre site Ionisos des Pays de Loire). (attention il n’est pas dit-renseigné que le retour des sources usées repartent avec le même camion qui apporte les sources « neuves ».