Jeudi 17 mars 2022 – Le Mans, salle Barbara, Sarthe.
« Que pensez des annonces de la campagne médiatique du gouvernement et d’EDF pour la relance du nucléaire ? » Telle était l’interrogation de la soirée. Au regard des groupes organisateurs (infra) et du titre du documentaire, on devine que l’affaire était un peu pliée d’avance.
La date aussi était un rien choisie, raccord avec le rappel du onzième « anniversaire » de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Centrale de quatre réacteurs, victime [1] d’une vague submersive tout comme l’avait été notre façade atlantique et la centrale du Blayais (le documentaire de la soirée) douze ans auparavant (fin 1999). Dans une moindre mesure… et pourtant !
Cette soirée était coorganisée par Sortir du nucléaire 72, Attac 72, Alternatiba Le Mans et #Greenpeace Le Mans.
Les faits
Dans la nuit du 27 novembre 1999, la puissante tempête Martin succède à la tempête Lothar (qui a marqué beaucoup de nos forêts). Une tempête centennale. Comble de malchance, le marnage de la mer Océane est aussi aux grandes marées. Foutaises ! Sise sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, la centrale de Braud-et-Saint-Louis (dite du Blayais) est parée pour une inondation millennale… Des esprits fâcheux en doutaient et alarmaient. D’autres s’en fichaient comme d’une guigne. Pourtant, entre les deux réveillons, la digue de protection est vite submergée et l’eau monte dans les bâtiments de la centrale (jusqu’à plus de 5 m !)… La seule route d’accès est inondée. Les lignes THT coupées… Si, un des quatre réacteurs est arrêté pour entretien, les trois autres se mettent simultanément en « sécurité ». Ouf ! Mais… il faut les refroidir. De l’eau, il y en a plus que l’on en veut, mais c’est — exclusivement — de l’eau froide et renouvelée qui doit circuler dans le circuit de refroidissement de chacun d’eux, au moyen de pompes électriques actionnées par l’énergie produite par au moins une unité de la centrale. Mais les quatre réacteurs n’en produisent plus. Et la ligne THT (elle aussi, on l’a vu, mise à mal par de violentes bourrasques) est hors circuit et ne peut répondre à la demande. Restent les groupes diesels, mais… la capacité d’autonomie en carburant est limitée et la route inondée complexifie le réapprovisionnement [2], et les pannes desdites pompes diesels sont récurrentes…
Le pire a fini par être évité, mais il ne souffre d’aucune exception !
Le film Tcherno-Blaye
En prologue de cette interrogation sur la relance du nucléaire, des extraits vidéo de « Tcherno-Blaye » (contraction de de Tchernobyl [et son accident nucléaire connu] accolé à Blaye, la commune-citadelle dont le toponyme a donné son nom à la forteresse nucléaire [aux pieds d’argile] voisine). Ce documentaire, d’abord radiophonique, a passé dans l’émission (quotidienne) « Affaires sensibles » sur France-Inter le 19 juin 2019. Une coproduction de France Télévisions, France Inter et l’INA a permis de le remonter en vidéo pour France 2, qui l’a proposé aux téléspectateurs le lundi 1er novembre 2021 (mais à 22 h 45 et n’est plus disponible en replay, sauf expert·e·s en numérique !).
Il reconstitue heure par heure l’enchaînement des événements de cette fameuse nuit du 27 décembre 1999 qui a vu l’inondation dans les sous-sol de la centrale et « lève le voile sur la culture de l’omerta qui entoure les incidents nucléaires. » La conclusion des journalistes-enquêteurs est sans appel : « On n’est jamais passé aussi près de la catastrophe ultime. »
Là, ce sont des chroniqueurs du service public qui le disent et le montrent. Des professionnels forcément sérieux, référencés, avec la carte de presse et tout le toutim : crédibles ! Pas des propos partisans de militants prompts à surjouer sur les angoisses, la fibre anxiogène, etc.
Laïus et échanges
Sujet et argumentaire archimaîtrisés de Thierry Gadault, auteur, journaliste (cf. flyer). Exposé limpide, synthétique, accessible, avec, aussi, une excellente relance du public (qu’on salue) et n’oublie pas.
Eau : ni trop ni trop peu. — L’auteur a d’abord évoqué l’intrusive composante du film-documentaire : l’eau. Un flux indispensable et nécessairement abondant, puisé en mer, dans les cours d’eau (parfois stockée en complément dans des retenues d’eau [lac de Vassivière-Civaux, du Mirgenbach-Cattenom…], exceptionnellement dans des nappes phréatiques) pour refroidir ces énormes bouilloires que sont les réacteurs, même (très) longtemps après leurs arrêts momentanés et/ou définitifs. Les deux tiers de l’excédent chaleur sont dispersés dans les mers, les cours d’eau (au risque, en période de sécheresse, de flirter avec les normes de protection de la faune et de la flore) ou vaporisée dans l’air. En l’état, le réchauffement climatique (cf. le rapport récent du GIEC) complique la donne. Sa raréfaction ou sa surabondance ne manquera pas de l’aggraver, avec la baisse des étiages et son contraire, dont un nouveau et récurrent phénomène, les « bombes de pluie » (cf. Australie, France (vallées de la Roya, Vésubie…), Belgique, Allemagne, etc).
EPR. — Bien d’autres déconvenues et avanies de la filière ont évidemment été abordées. Les EPR bien sûr (finlandais, chinois, français, voire anglais), qui requièrent une technique sophistiquée et lourde, une mise en œuvre longue et aux coûts rédhibitoires (ostracisant les EnR)et désormais… victime d’une erreur de conception entraînant des ruptures de gaines combustibles, insolubles.
EPR 2. — Concept d’un futur proche, le pamphlétaire n’imagine — au mieux — l’achèvement du nouveau « design » (architecture technique) de ces EPR 2 (EPR de deuxième génération) qu’au-delà de 2030 et dont la mise en œuvre (de 6, puis 14 unités pour Macron) reporte la production des premiers kilowatt-heures et obère la mise en œuvre des EnR et toute possibilité d’entraver le réchauffement climatique.
SMR. — La R&D des SMR reste tout aussi immature, récemment — et opportunément — sortie du chapeau pour amuser les chroniqueurs de plateaux et plumitifs. Ils reprennent le design recuit des circuits primaires des réacteurs à eau pressurisée, souffrent des mêmes nécessités de sûreté et de sécurité, donc coûteux, et démultiplient les risques et dangers. Ils prédisposent aussi — sans guère de garanties — d’une prolifération en fiefs politiquement insécures ou géologiquement et climatiquement problèmatiques.
Vieilles lunes. — Recalés aussi, les réacteurs à neutrons rapides au sodium, SuperPhénix (1985-1997) et Astrid (études arrêtées/suspendues en 2019) restés expérimentaux en France et qui ont coûté une fortune aux contribuables [3]. Autres antiennes, les réacteurs au thorium (combustible) à sels fondus (caloporteur), eux aussi toujours expérimentaux (Chine), techniquement inachevés, aux coûts rédhibitoires et à contretemps de l’urgence climatique.
Pétoche. —Aux lendemains de l’occupation de l’ex-centrale de Tchernobyl et des exactions sur celle de Zaporijjia en Ukraine (six réacteurs) par les troupes poutino-russes et de la vague d’attentats terroristes dans l’Hexagone dans les années post 2015, le public a bien sûr réagi aux vulnérabilités induites par notre production électrique hyper-centralisée via nos centrales nucléaires civiles (18 centrales, 56 réacteurs) et le stockage des combustibles usés en piscine (une par réacteur) mal protégées, la pire de toutes se trouvant au Centre de retraitement de La Hague.
Opex. — Le public s’est aussi interrogé sur certaines opérations militaires extérieures menées par la France au Sahel (Mali, Niger, Burkina-Faso…) pour — ou pas — sécuriser l’approvisionnement de nos centrales en uranium. Un mobile relativisé par l’intervenant dont il sait les mines historiques du Niger épuisées (Arlit, Akouta, Somaïr), trop chères à exploiter ou aux gisements surestimés (Imouraren, sans parler du scandale Uramin en Namibie). Pour l’essentiel (plus des deux tiers), la France s’approvisionne désormais au Kazakhstan (assujetti par la Russie !), en Australie et au Canada.
Bouteille à moitié pleine. — Volet optimiste de la soirée, pour un avenir décarboné, évidemment, la sobriété (sinon joyeuse, au moins de la raison gardée) et l’efficacité énergétique, rénovation, isolation… ont aussi fait gloser. Enfin, la diversité des EnR et les possibilités de stockage (STEP, hydrogène vert, batteries…) ont aussi eu droit à leur quart d’heure.
Au risque d’être barbants, nous allons arrêter ici.
Juste une réserve : la démonstration de Th. Gadault nous a parfois semblé — à nous aussi — « trop déterministe dans sa certitude que le nucléaire est dans une impasse climatique, technique, économique et financière » à laquelle il ne survivra pas. L’industrie nucléaire mondiale a probablement atteint un seuil qu’elle ne reverra jamais. La singularité du pays le plus nucléarisé au monde (par habitant) est effectivement vacillante sous de multiples aspects et constatable par tous. Le Made in France — Concorde, Minitel… et maintenant l’énergie — a indubitablement perdu de sa superbe, mais le modèle reste et promet, si l’on en juge par les programmes présidentiels, de perdurer. Alors que de nombreuses forces politiques promettent de relancer la machine pour « perpète », le « grand cadavre à la renverse » (J.-P. Sartre) sombrera-t-il corps et biens au fond du gouffre sans qu’un fort mouvement populaire de ses clients-usagers ne l’y précipite ou qu’un accident majeur ne survienne ? L’avenir n’est pas encore écrit.
Les minutes de l’exposé de Thierry Gadault et des échanges avec le public sont disponibles sur la plateforme Google.docs grâce aux militant·e·s du groupe local Greenpeace Le Mans-Sarthe (partenaire de la soirée). On vous communique le lien avec leur autorisation (qu’ils en soient remerciés), c’est ici : ▶.
Invité de Sortir du nucléaire Pays nantais, deux jours auparavant (le 15 mars 2022), Thierry Gadault y avait aussi animé une conférence à Nantes. Si l’intitulé « Pourquoi le nucléaire n’a pas d’avenir (et ne pourra pas sauver le climat) » en était légèrement différent, on y retrouve l’essentiel de ce qui a été dit au Mans. Nos collègues de Nantes, eux aussi, en proposent le contenu à tous, mais en vidéo, sur Youtube, c’est ici : ▶.
Le 23 mars 2019, SdN 72 (en solo cette fois), avait déjà invité Thierry Gadault, à l’occasion d’un convoi fictif de combustible nucléaire reliant Chinon à Flamanville (du 23 au 27 mars 2019), c’est ici : ▶. Avec, là aussi en première partie, la projection d’un film : Nucléaire : la fin d’un mythe, de Bernard Nicolas, Hugues Demeude et… Thierry Gadault, qui avait aussi assuré la conférence-débat post-projection.
Notes
[1] Soit la fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 ainsi que la surchauffe de la piscine de désactivation du réacteur 4.
[2] Miraculeuse aubaine… en prévision du « bug de l’an 2000 », les réservoirs de gazole étaient pleins.
[3] Et avant eux (en France) : Rapsodie, premier réacteur nucléaire expérimental de la filière à neutrons rapides et à caloporteur sodium (« opérationnel » de 1967 à 1978, arrêt définitif en 1983), puis, Phénix (construit en 1968, arrêté en 2009).
Crédits photos : SdN 72. Communication : flyer du collectif, ci-dessous. Dessin de presse : du regretté Cabu (Sarthois intermittent, cest la : ▶).