26 avril 1986-2023 – Tchernobyl (partout)
Tchernobyl : 37 ans ! Du plus disant au moins disant, on trouve tout et son contraire sur le bilan de cette catastrophe nucléaire, humaine, industrielle, politique, économique et écologique. Quid des « liquidateurs » et des populations de zones hypercontaminées non évacuées ? L’article qui suit risque une synthèse concernant des chiffrages fouillés, documentés, sourcés, recoupés des victimes en attendant — un jour — une hypothétique transparence… Le delta des victimes annoncées comptabilisé par les uns et les autres pourrait prêter à sourire s’il ne s’agissait d’êtres humains. Des vies d’êtres sensibles, émotionnels… qu’on se doit de rappeler aux amnésiques nucléophiles !
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » écrivait Albert Camus en 1944. Je laisse aux philosophes le soin de discourir, si mal les chiffrer y participe également. L’amplitude de la catastrophe humaine de Tchernobyl (comme auparavant celle de Kychtym, un complexe nucléaire de Maïak en ex-URSS) a totalement et intentionnellement été minimisée par les autorités soviétiques d’une part , tout comme pour les accidents de Maïak [supra] et Three Mile Island, Fukushima, les essais nucléaires… ailleurs, mais aussi par tous les pays (organismes et institutions sous leur tutelle) ayant opté pour cette technologie qui y avaient intérêt pour l’avenir de cette filière sur leur propre territoire.
Et l’atomerta perdure !
Tchernobyl : nombre de victimes
Le bilan est très difficile à réaliser, d’autant plus que les effets sur la santé des nombreuses populations touchées se poursuivent encore.
Cet article fait d’abord état des dégâts humains estimés et chiffrés par différents organismes, institutions ou personnalités.
La seconde partie est constituée d’une série de notes sur ces organismes, institutions, etc., qui fournissent ces chiffres.
Selon Kate Brown [1], 35 000 veuves ukrainiennes touchent une indemnité pour leurs maris morts de la radioactivité (2016). Qu’en est-il des morts non mariés, des enfants, etc. ? Un chercheur ukrainien estime à 150 000 morts rien que pour l’Ukraine. Chiffre également estimé par un officiel de la centrale de Tchernobyl [2].
La Biélorussie a été le pays le plus touché par les retombées radioactives. Elle ne figure pas dans ce bilan.
Pour l’ONU [3] : 56 morts et 6 000 morts par cancer
2011, l’Académie des sciences de New York estime qu’1 million de personnes ont perdu la vie à cause de Tchernobyl [4].
Pour l’ONU : 56 morts et 6 000 morts par cancer
Greenpeace, en 2011, estime que 200 000 personnes étaient déjà mortes entre 1986 et 2004 [5].
Pour l’ONU : 56 morts et 6 000 morts par cancer [6]
1990, (un) médecin du KGB (de Kiev, après quatre ans d’études) estimait qu’environ 4,5 millions de personnes avaient subi des contaminations au-dessus du seuil admissible fixé par les autorités. Il recommandait l’extension de la zone d’exclusion de 30 km à 120 km autour de Tchernobyl, ce qui incluait la ville de Kiev [7].
2014, « Avant Tchernobyl, de 15 à 20 % des enfants (de Biélorussie) étaient malades, observe Yves Lenoir. Aujourd’hui, ils sont 80 à 85 % ! » [8].
Pour l’ONU : pas de problèmes sanitaires notables
Kate Brown a travaillé pendant dix ans à partir de vingt-sept fonds d’archives, tant en ex-URSS, Europe et États- Unis et obtenant souvent leurs déclassification. Elle a réalisé de nombreux déplacements sur le terrain et rencontré de nombreuses personnes de tout niveau. Son ouvrage Manual for Survival (2019, traduit en français en 2022 sous le titre « Tchernobyl par la preuve »), une étude au plus près de l’impact du désastre nucléaire de Tchernobyl, finaliste du National Book Critics Circle Award, fut salué par The Economist comme une « fusion magistrale de recherche historique, de journalisme d’investigation et de reportage poétique » (Wikipedia 1).
Son ouvrage « Tchernobyl par la preuve » comporte environ mille sources référencées.
UNSCEAR (Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants) a été créé par l’ONU en 1955. Son objectif est de « définir précisément l’exposition actuelle des populations du monde aux rayonnements ionisants » [9]. Ce qu’en dit Kate Brown : « Il aurait l’apparence d’un organisme scientifique indépendant mais pourrait être discrètement contrôlé par des nominations politiques stratégiques [10]. »
Par ailleurs, les fiches individuelles des vingt-sept scientifiques originaires de vingt-sept pays qui composent l’UNSCEAR montrent leur parcours professionnel et leurs responsabilités actuelles dans leur pays respectif. L’examen de leur parcours laisse à penser que la plupart d’entre-eux ne pourraient qu’être favorables aux activités nucléaires.
Yves Lenoir, auteur du livre La comédie atomique, paru en 2016. Il y retrace la surprenante histoire de la construction progressive d’un système international de protection radiologique hors normes au sein de l’ONU, qui minore systématiquement les risques et les dégâts des activités nucléaires. [11] Il est par ailleurs président de l’association « Enfants de Tchernobyl-Belarus ». http://enfants-tchernobyl-belarus.org/
Pour plus d’informations, on peut se rapporter aux sites de GREENPEACE, GLOBAL CHANCE ou la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité).
La CRIIRAD est née en mai 1986, au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, à l’initiative d’un groupe de scientifiques et de citoyen.ne.s qui souhaitaient connaître la vérité sur la contamination radioactive du territoire français. Face à l’impossibilité d’obtenir des informations fiables de la part de l’État et des industriels, et constatant que les pays environnants mettaient en place des mesures de protection de la population, l’association a décidé de réaliser ses propres mesures par la mise en place d’un laboratoire indépendant d’analyse de la radioactivité.
Elle milite pour le respect du droit à l’information et l’obtention d’une réelle protection. Elle œuvre pour que chacune et chacun dispose des moyens et des connaissances suffisantes et nécessaires pour se prémunir et agir en conséquence. La CRIIRAD produit et diffuse des informations indépendantes des autorités et des industriels sur la base de ses recherches et des résultats issus de son laboratoire scientifique. L’association peut être interpellée et sollicitée en tant qu’experte dans son domaine.
Face à la désinformation et à la fabrique de l’ignorance, la CRIIRAD https://www.criirad.org/ se place en contre-pouvoir et en lanceur d’alerte.
Notes
[1] Kate Brown est une historienne et professeure universitaire américaine au MIT à Boston.
[2] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve, p. 479.
[3] Ces chiffres officiels de l’ONU sont en réalité ceux de différents organismes dépendant de l’ONU tels que l’UNSCEAR, l’AIEA, etc., et que l’ONU a approuvé par des votes sans débat.
[4] Sur la base d’un bilan de cinq mille articles et études. A. Yablokov, V. et A. Nesterenko, Éd. Sherman-Nevinger, Chernobyl. Consequences of the catastrophe for people and the environment, Annals of the New York Academy of Science, volume 1181.
[5] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve, p. 13.
[6] Jean-Marc Jancovici relaie abondamment ce message.
[7] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve, p. 299.
[8] Interview de Yves Lenoir dans Actu 88 du 22 mars 2014.
[9] Wikipedia.
[10] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve, p. 344.
[11] 4e de couverture de La comédie atomique, de Yves Lenoir.
Illustration de Arend Van Dam (dessinateur de presse néerlandais) paru dans Courrier International pour le 30 e anniversaire de Tchernobyl.