Centrales nucléaires à fusion


Décembre 2024 –  Cadarache (France), Greifswald (Allemagne)…

Où en est le projet de construction de centrale à fusion nucléaire pour produire de l’électricité à grande échelle ? Il n’est pas encore envisagé.

Seul le projet ITER (International thermonuclear experimental reactor) est en construction à Cadarache, dans le sud de la France. Il n’a pas vocation à produire de l’énergie, il constitue essentiellement un laboratoire. Il y a également d’autres projets expérimentaux dans le monde.

Dès les années 50, le principe de la fusion était connu et les scientifiques de l’époque estimaient l’application industrielle à quarante ans, soit dans les années 90. Seule application pratique réussie : la bombe H.
Aujourd’hui, il est estimé que l’application industrielle pour fournir de l’électricité devrait voir le jour dans la deuxième moitié du notre siècle actuel. Prudence donc en matière d’annonce d’une échéance. Certains scientifiques qui travaillent sur le sujet estiment ironiquement que d’année en année, la fusion restera toujours l’énergie du futur.

Extrait d’un article du journal québécois « Les affaires », paru le 7 octobre 2024.

Ce grand projet, lancé en 1985 et installé dans le sud-est de la France, compte sept membres : Chine, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Japon, UE et Russie.

Sa technologie, la fusion nucléaire, différente de la fission utilisée dans les centrales actuelles, vise à reproduire la réaction physique à l’œuvre dans le soleil, et à fournir une source d’énergie présentée comme sûre et sans déchet.

Mais son développement connaît des problèmes. Cet été, un retard d’au moins huit ans pour sa première étape cruciale a été annoncé, ainsi qu’un coût alourdi de plusieurs milliards d’euros.

Une avancée historique rapportée par Le Monde du 26 août 2021 :

L’expérience, qui a eu lieu le 8 août 2021 au National Ignition Facility (NIF), en Californie, « a été permise par la concentration de la lumière de lasers », pas moins de 192, « sur une cible de la taille d’un plomb de chasse », explique un communiqué. Cela a eu pour effet de « produire un point chaud du diamètre d’un cheveu, générant plus de dix quadrillions de watts (soit 1018 mW) par la fusion, pendant 100 trillionièmes de secondes (soit 10-10 seconde). »

Cela a produit une énergie d’environ 30 kWh, soit l’énergie consommée par un radiateur électrique de 1 kW pendant trente heures.

Du point de vue scientifique, la fusion et l’énergie incroyable qu’elle peut fournir est une réalité incontestable. En pratique, on est très loin d’un résultat probant exploitable (hormis le domaine militaire). Seule réalité : le soleil est une réaction de fusion continue qui devrait s’entretenir encore pendant quatre ou cinq milliards d’années.

On entend souvent dire : le combustible est tout simplement de l’eau

Oui, c’est vrai, mais abusif. En effet, il y a de l’eau partout, il est donc facile d’en alimenter ces réacteurs. En réalité, c’est beaucoup plus difficile que cela en a l’air. Pour le projet ITER, les deux noyaux que l’on veut faire fusionner sont le deutérium et le tritium [1]. Le deutérium est présent dans l’eau (1 m3 d’eau, soit 1 000 000 g, en contient 33 g). Seul problème, il faut l’extraire et c’est très compliqué [2].

Le tritium [3] est un élément très rare (et extrêmement dangereux), alors, il faut le fabriquer. Le moyen pour l’obtenir est de bombarder du lithium avec des neutrons pour le transmuter en tritium. En mettant donc du lithium dans un réacteur nucléaire, on provoque cette réaction. C’est ce qu’il est envisagé de faire à la centrale nucléaire de Civaux (près de Poitiers) afin de générer le tritium dont l’armée a besoin pour ses bombes atomiques H. Il est espéré que, par la suite, le réacteur à fusion puisse aussi fabriquer le tritium dont il a besoin pour fonctionner.

Alors, c’est beaucoup plus compliqué que de mettre de l’eau dans un réacteur pour qu’il fonctionne.

On entend dire aussi que les centrales à fusion ne consommeront pas d’énergie fossile.

Oui, c’est vrai en théorie, comme pour les centrales actuelles à fission. Mais comme celles-ci, elles en consommeront forcément pour leur construction et leur exploitation. Certes, beaucoup moins qu’une centrale thermique au charbon ou au fioul, mais quand même.

Avec la fusion on veut reproduire se qui se passe dans le soleil.

C’est une belle perspective, mais au lieu de vouloir imiter le soleil, un moyen plus simple de produire de l’électricité ne serait-il pas de laisser le soleil caresser des panneaux photovoltaïques de ses rayons ? et c’est gratuit !

Un autre aspect du nucléaire : les déchets radioactifs.

Les réacteurs [4] à fusion sont souvent présentés comme ne produisant aucun déchet radioactif. C’est faux.
Pour traiter cette question, il convient de comparer les réacteurs à fission [5] aux principes de la fusion.

Dans nos réacteurs actuels à fission, la production de déchets radioactifs a deux sources. La première provient de la fission des noyaux d’uranium 235 (235U) en deux nouveaux noyaux pas forcément égaux en taille (par exemple de l’iode (131I) et du césium (137Cs). Ces deux isotopes sont radioactifs. La fission d’un atome 235U éjecte en même temps 2,5 neutrons en moyenne. Dans le réacteur, on s’arrange pour qu’un seul de ces neutrons percute un autre atome 235U et l’éclate. C’est ce qu’on appelle la réaction en chaîne. Les 1,5 neutrons restants (en moyenne) sont absorbés pour qu’ils restent tranquilles dans leur coin. Dans un autre type de réacteur, on ne les absorbe pas : et cela s’appelle une bombe atomique.

La deuxième provenance des déchets radioactifs trouve son origine dans ces fameux 1,5 neutrons. Beaucoup d’entre-eux sont absorbés par les barres de contrôle, ou barres de commande, qui, en s’enfonçant plus ou moins dans le cœur du réacteur, permettent de le piloter. D’autres neutrons sont également absorbés par les structures internes du réacteur et également par les parois de la cuve. Or, le bombardement des corps par les neutrons a la propriété de transformer ceux-ci en éléments radioactifs. Par exemple, le bombardement de l’élément fer de la cuve  se transforme en cobalt radioactif (60Co). C’est ce qu’on appelle «  l’activation ».

En résumé, un réacteur à fission génère des produits radioactifs de fission et des produits radioactifs d’activation.
Un réacteur à fusion ne génère que des produits radioactifs d’activation.
Pourquoi ?

Dans un réacteur à fusion, on veut reproduire la réaction qui se passe dans le soleil. Il s’agit, à l’aide d’une température de 150 millions de degrés Celsius [6] de provoquer la fusion des noyaux de deux atomes légers, par exemple de deutérium et de tritium (qui sont des isotopes de l’hydrogène). Cette fusion génère un noyau d’atome d’hélium mais pas de noyaux d’autres corps plus lourds comme dans la fission. Pour chaque noyau d’hélium créé, il est émis un neutron dont l’interaction avec les matériaux environnants va générer justement la chaleur dont on a besoin pour faire bouillir de l’eau dont la vapeur va faire tourner des turbines ; etc. Cette interaction crée des transmutations : c’est la transformation de corps élémentaires, fer, cuivre, oxygène, carbone, etc., en nouveaux corps élémentaires cobalt, iode, césium, en général radioactifs.

Le bombardement des tôles qui entourent le réacteur est tel qu’il est nécessaire de les changer tous les six mois [7] car leurs atomes de fer qui les composent ont été en trop grand nombre transmutés en d’autres corps, comme le cobalt. Elles ne sont plus assez solides. Qu’en fera-t-on ensuite ?
Le bombardement des structures et des fluides par les neutrons produira donc des déchets radioactifs dits d’activation.

Dans les réacteurs à fission, le bombardement de la cuve par les neutrons est beaucoup moins sévère. C’est pour cela que leur durée de vie espérée est de trente ou quarante ans. Néanmoins, plus le réacteur fonctionne, plus sa cuve devient fragile.

À ne pas oublier : dans le processus de transformation de la chaleur en électricité produite dans les réacteurs, qu’ils soient à fission comme à fusion, le rendement est de l’ordre de 33 %. Ce qui veut dire que 66 % de l’énergie produite est perdue.

Pour en savoir plus :

https://global-chance.org/Podcast-un-dejeuner-chez-Bernard-ITER-et-tarte-aux-pommes


Notes

[1] Ce sont deux isotopes de l’hydrogène.

[2] À titre d’exemple : jusqu’à sa fermeture en 1997, l’usine d’eau lourde de Bruce, en Ontario, était la plus grande usine au monde de production d’eau lourde, d’une capacité de 700 tonnes par an. Elle a utilisé le procédé Girdler, exigeant 340 000 t d’eau d’alimentation pour produire une tonne d’eau lourde (Wikipedia). L’eau lourde est de l’eau ou tout l’hydrogène 1H a été remplacé par du deutérium 2H. 

[3] Le tritium est très rare dans la nature, avec environ un atome de tritium pour 1018 atomes d’hydrogène, soit 3,5 kg dans le monde. Il doit donc être préparé artificiellement et assez rapidement utilisé car sa nature d’isotope radioactif a une courte durée de demi-vie. De plus, il est difficile à confiner car c’est un atome si petit qu’il peut traverser l’acier (Wikipedia).

[4]  Qui n’existent pas encore.

[5] Équipant toutes les centrales du monde actuellement, alors qu’aucun exemplaire de centrale à fusion n’existe actuellement.

[6] Cette température faramineuse est très difficile à obtenir (plasma confiné par un champ magnétique intense). Dans une bombe H, elle est générée tout simplement par une bombe A (à fission).

[7] Selon une interview de Bernard Laponche de « Global chance ».


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