INB Ionisos de Sablé : l’ASN pointe les provisions insuffisantes des démantèlements


Mi-novembre 2020 – Sablé-sur-Sarthe

Les provisions financières liées à la cessation d’activité de certaines entreprises font débat. C’est un des items favoris des détracteurs des énergies renouvelables (fondations des éoliennes, désossage des parcs solaires et extraction de leur ancrage au sol…). Et ils ont raison ! [1] Sauf  à ignorer que les retours à l’herbe des infrastructures nucléaires publiques (civiles et militaires) et privées sont loin d’être budgétisés et garanties. Dans ce domaine, tricher, tergiverser, opacifier, procrastiner… est un sport national pour les exploitants. Quand il ne s’agit pas de soutirer des indemnisations pour un manque à gagner comme l’a obtenu EDF avec les deux réacteurs enfin fermés de Fessenheim !

Et aussi local ! La société sabolienne Ionisos, seule Installation nucléaire de base (l’INB n° 154) de la Sarthe ne se distingue pas du lot !

Cassette 

logo détourné de IonisosEn 2019, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) avait saisi l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) [2] sur les cinquièmes rapports triennaux remis par les exploitants nucléaires relatifs à la « sécurisation du financement des charges nucléaires de long terme ». Ce dispositif d’évaluation et de provisionnement vise à s’assurer que les charges de démantèlement, de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs sont évaluées de façon suffisamment prudente et couvertes par des actifs dédiés permettant de disposer, le moment venu, des moyens financiers nécessaires.

Tirage d’oreille

Ayant examiné les hypothèses techniques étayant les évaluations de ces charges, le 6 août 2020, le président de l’ASN (supra) a rendu son avis sur le dernier des susdits rapports triennaux remis par les exploitants, c’est ici :  (p. 13). Ionisos, entité de six sites industriels sur le territoire — dont l’unité Ionisos de Sablé-sur-Sarthe — était du lot [3].

On vous livre son avis in extenso dans le jargon propre à cette instance :

« L’ASN relève des insuffisances importantes pour l’évaluation des provisions pour le démantèlement de ces installations. Le rapport triennal remis par Ionisos est particulièrement lacunaire, avec un contenu qui ne répond pas aux obligations réglementaires de rapportage. De plus, l’ASN considère que l’évaluation est insuffisamment prudente, du fait :

  • d’incomplétudes dans les dispositions techniques présentées (non-évaluation de la démolition des casemates surplombant les piscines, mauvaise définition de l’état final des piscines) ;
  • d’hypothèses qui apparaissent particulièrement optimistes concernant l’assainissement, le coût du personnel, le volume et les modalités de traitement des déchets, l’échéancier de décaissement correspondant ; 
  • de la non-prise en compte des aléas prévisibles : pollutions des structures en raison de caractérisations insuffisantes (par exemple la piscine D2 [Dagneux 2, NDLR]), état final des piscines. »

Dans sa note d’information publiée le 13 août 2020, c’est là : , l’ASN est cependant plus soft (quoique) mais sans détour :

« L’évaluation des provisions pour le démantèlement de cette installation (Ionisos) est insuffisante. Le rapport triennal remis par Ionisos est particulièrement lacunaire, et son contenu ne répond pas aux obligations réglementaires en termes de transparence et d’exhaustivité. »

Cette question s’étant invitée au menu de la Commission locale d’information (CLI) de Ionisos Sablé le 16 novembre 2020 (en visioconférence), la direction a reconnu son erreur qui serait due (on vous le restitue à la louche) à une mauvaise compréhension de la demande de l’ASN… et que tout (selon elle) devrait rentrer dans l’ordre ! Aux choix, soit cette direction à la compréhension difficile, soit elle fait l’âne ou encore prend ses interlocuteurs pour des idiots. Pour rappel, nous en sommes aux cinquièmes rapports triennaux, soit une antériorité du premier rapport de quinze ans ! Admettons-le, certaines des dispositions ont évolué et de nouvelles sont apparues. Nonobstant, deux précédents avis de l’ASN (du 9 janvier 2014, c’est ici :  (p. 5) et du 8 juin 2017, c’est là :  (p. 10) avaient déjà pointé et sermoné les dirigeants de Ionisos. Notamment pour l’établissement de Dagneux (dans l’Ain), dont les irradiateurs D1 et D2 ne sont plus exploités depuis 1994 sans être encore démantelés et dont l’irradiateur D3 en exploitation est contaminé (infirmant les informations rassurantes sur ce risque auxquels les dirigeants de Sablé et de la maison mère se livrent). À installations voisines sinon identiques, ce qui vaut pour les unes s’imposent a fortiori aux autres.

AZF à Toulouse, Lubrizol à Rouen, entrepôt de nitrate d’ammonium à Beyrouth… Si localement nous n’en sommes fort heureusement pas encore là, les comportements voyous s’y perpétuent tout autant qu’ailleurs. Rappelons seulement deux sociétés : Freix à Bonnétable, liquidée depuis 2016 après la découverte d’amiante, qui sera ensuite stockée et exposée à tous les vents quatre bonnes années durant [4] ; MBM, Mercure Boys Manufacture à Voivres-lès-le-Mans qui, en 2014, avait abandonné 650 000 postes de téléviseurs à tube cathodique et ordinateurs, qu’elle était censée traiter, sur un terrain vague [5]. Néanmoins, constatons-le, comme beaucoup d’autres sociétés, Ionisos se joue des avis, décisions réglementaires, prescriptions, rares injonctions… Il est encore loin le chemin de l’éthique de responsabilité et son principe corolaire : pollueur-payeur. Les gentils tirages d’oreilles n’y suffisaient pas hier et n’y suffiront pas plus demain !

Ionisos, la pieuvre non stérile

Le marché de la stérilisation à froid par irradiation (ou son synonyme plus présentable : l’ionisation) semble — hélas — plutôt bien se porter en Europe à moins que ce ne soit seulement le groupe Ionisos lui-même. Nous avions vu sa progression économique et territoriale ici : . Récemment, en octobre 2017, l’entreprise avait absorbé Scandinavian Clinics Estonia basée dans le comté de Harju en Estonie (près de Tallinn) l’annonce est ici : . Le 16 juillet 2019 ce fut le tour de la société Steril Milano SA, fondée en 2009 et basée à Monza, en Lombardie. En Italie, elle est leader de la stérilisation à l’oxyde d’éthylène. Cet irradiateur-là stérilise cependant à base de rayonnement bêta au débit de dose élevé mais au pouvoir de pénétration limité (soit l’inverse de celui de Sablé à rayonnement gamma). Une information sur cette transaction est, entre autres, là :  (si vous ne maîtrisez pas l’italien, copiez le texte dans le traducteur de votre choix). Si, pour l’instant, la « pieuvre » ne fait pas progresser le nombre d’irradiateurs, elle étale bel et bien ses tentacules sur toute l’Europe, son chiffre d’affaires progresse et ses prestations se diversifient en services et produits traités (notamment par réticulation).


Notes

[1] Les maîtres d’ouvrage d’EnR sont soumis à provisions. Mais ceux-là ne sont pas plus vertueux que les autres. Qui font et défont les sociétés comme on emboîte des poupées gigognes, diluant à souhait les responsabilités.   

[2] La DGEC, qui dépend du ministère de l’écologie, a, entre autres responsabilités, celle de la politique française en matière d’énergie nucléaire. L’ASN est souvent et improprement appelée gendarme du nucléaire.

[3] Deux équipements de l’entreprise de Dagneux (Ain) sont déjà à l’arrêt mais nécessitent un plan de démantèlement. Ionisos, c’est aussi six autres sites en Europe. 

[4] Ex-société de reconditionnement des freins (amiantés) d’anciens véhicules. Son dirigeant a été condamné à un an de prison dont six mois fermes en première instance. Peine qui a été confirmée en appel. Outre les préjudices sanitaires pour les salariés au temps de son activité, de nombreux « big bags » contenant des déchets amiantés sont restés stockés en extérieur sans égard pour le voisinage jusqu’en février 2020. Au final, le liquidateur judiciaire n’ayant pas les moyens financiers suffisants, c’est  l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) qui s’en est chargée, via nos impôts !

[5] Entreprise liquidée en mars 2014. Avec environ 20 000 tonnes (4 000 m³) de matériaux concassés abandonnés à ciel ouvert au lieudit les Randonnays (ZA des Clottées). Des broyats dangereux avec des teneurs élevées en plomb, en mercure, en baryum, en cadmium et aussi des poudres luminophores et des terres rares très faiblement radioactives ! Lire les articles et voir les photos de l’association Robin des Bois, ici :  et de Reporterre là : . Jusqu’à l’avènement des écrans plats, le verre des tubes cathodiques était recyclé pour en faire de nouveaux tubes. Depuis, seule l’activité de traitement du mercure a été reprise par HG Industries (groupe Aurea) avec six des quarante ex-salariés.


Illustration : SdN 72 (J.-L. B).