2021-2022 – Aubigné-Racan (sud Sarthe)
Après une première tranche solaire sur une partie de l’ancien terrain militaire de Vaas (Sud-Sarthe), un nouveau parc photovoltaïque (PV) — conséquent — s’est ouvert sur une ancienne décharge de la commune voisine, à Aubigné-Racan. D’ici la fin de l’année (2022), un second parc devrait être, lui aussi, prêt à produire sur une autre partie de l’ex-terrain militaire, à cheval sur les deux communes d’Aubigné et de Vaas.
En ce début de mai 2022, c’est aussi au sein du parc d’activités Loirécopark, à Vaas, que la start-up industrielle CréaWatt Fabrick’ (Phoenix Group), projette de produire des surfaces photovoltaïques novatrices. Des productions qui, longtemps, ont été irresponsablement externalisées (et le restent pour l’essentiel) !
Des énergies « douces » dans un monde de brutes… Décentralisées, dispersées, produites et consommables à proximité… Avec la guerre faite à l’Ukraine, l’heure est au bilan de nos dépendances énergétiques, militaires, et notre vulnérabilité patente face aux embargos nécessaires sur les énergies fossiles [1], aux cibles potentielles que sont nos réacteurs et chacune de leur piscine. Les lanceurs d’alerte, militants antinucléaires… n’ont ni été écoutés ni entendus, mais généreusement contrôlés et persécutés. Notre pays est un des plus à la traîne (à niveau équivalent, s’entend) sur le registre des EnR, faute à cette préférence nationale pour le nucléaire imposée depuis des lustres. Les partisans passés, présents et à venir de cette énergie sont comptables de cette immense et durable bévue.
Puissent les alertes aériennes sur le territoire ukrainien amener les décideurs à plus d’écoute et changer de paradigme un bonne fois pour toutes !
Présentation
Depuis août 2021, la production sarthoise d’énergie renouvelable (EnR) a « bondi » de cinq nouveaux mégawattheures potentiels grâce à une nouvelle centrale photovoltaïque sur la commune d‘Aubigné-Racan [2]. Ce choix d’une centrale solaire au sol sur l’ex-site du centre d’enfouissement technique de la commune miroitait dans les esprits des membres du syndicat mixte du Val de Loir depuis plus d’une décennie déjà. Confère notre premier article sur ce projet de ferme PV, ici : ▶. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » disait La Fontaine. En fonction depuis sept mois, elle n’a été inaugurée que le 28 mars de cette année.
Initié par IEL (Initiative Énergie Locale) exploitation 32, l’entreprise bretonne a d’abord été retenue par le syndicat mixte du Val de Loir (SMVL) pour développer, financer (on parle ici de 4 millions d’euros), construire et exploiter cette centrale photovoltaïque dont elle loue le terrain. Une location garantie par un bail emphytéotique d’une durée de quarante ans, reconductible une fois, avec un engagement contractuel de retour à l’herbe.
D’une puissance crête de 5 MWc (supra), elle pourra produire jusqu’à 5,992 millions de kW/h par an (une estimation qu’on arrondira à 6 si vous en êtes d’accord !). Grosso modo, les deux tiers de la consommation électrique annuelle des habitant·e·s de la commune (hors chauffage et nouvelles mobilités, qui, à terme, redéfiniront toutes ces anciennes équivalences). Soit 1 410 des 2 115 habitants (1 700 pour les plus optimistes) !
État des lieux
Le site de son implantation a d’abord été une carrière. Le toponyme du lieu, dit du Gravier, l’y prédisposait. Puis, à l’année 1974, il devient le « dépotoir communal ». En 1978, la préfecture le promeut centre d’enfouissement technique (comprendre : décharge d’ordures ménagères broyées, de déchets industriels banals, de monstres et gravats, de déchets et boues de la station d’épuration de la papeterie De Varenne voisine) avant d’être fermé en 2001, saturé de 214 000 tonnes de déchets, pour une solution incinérée sans revalorisation via un réseau de chaleur (à vérifier !!!), aussi critiquable à bien des égards. D’avril 2001 à novembre 2002, le site sera « réhabilité » [3] par le syndicat mixte du Val de Loir, et sanitairement suivi trois décennies durant. Soit, vous l’avez compris, un terrain inapte à l’agriculture intensive, et d’autant plus biologique. Sans conflit d’usage agricole avant longtemps. Restait à le « valoriser ! »
Beaucoup des centrales solaires au sol sont implantées sur des terres dégradées, anthropisées, devenues impropres à l’élevage et l’agriculture : Fillé, Allonnes, Grandchamp… ou sur d’anciennes carrières (plusieurs projets en cours). L’exception en Sarthe : Thorigné-sur-Dué (une autre, à Dissay-sous-Courcillon, est fortement et légitimement controversée).
Bonus
Côté environnement, plusieurs zones d’évitement ont été sauvegardées : pelouse sèche (présence d’orchidées ophrys abeille) ; chêne à capricornes (protégé) ; station de muscari à grappe (protégée), œdipode soufrée dans une fosse (protégée), etc. Faune et flore bénéficieront aussi d’un suivi environnemental les trois premières années d’exploitation du parc.
Des écrans visuels végétaux ont été maintenus et/ou plantés (arbres de 4 à 7 m, plus genêts) sur trois côtés qui en étaient dépourvus.
Quelques données
D’une superficie globale de 10,6 ha (dont 9,7 ha de surface clôturés), la surface utile de la centrale du Gravier est de 7,3 ha. On l’a vu supra, sa puissance estimée est de 5,0 MWc (crête) et sa production probable de 6 millions de kW/h/an.
Le calepinage photovoltaïque est constitué de quelque 14 350 modules PV (traités antireflets [coefficient de réflexion de 8%]), regroupés essentiellement par 28 sur environ 512 tables (sauf exceptions, chaque table en supporte 7 sur 4 rangées, soit 28 modules). Les structures portantes sont fixes (orientées à 25°, sans suivre la courbe du soleil). L’ensemble est réparti sur environ 46 rangées d’inégales largeurs, surtout à l’extrémité nord et autour des zones d’évitement. Ici (comme à Grandchamp, c’est là : ▶), l’amarrage au sol des structures portantes (avec tables d’une hauteur maximale de 2,7 m) se fait sans perforation (sans pieux battus ni pieux à vis) mais via des plots en béton (dits pieux hybrides) adaptés aux sites anthropisés, pour sauvegarder les couches de réhabilitation (supra) et diminuer les remontées de biogaz (non valorisé celui-là)…
Pour son raccordement au réseau ERDF, la centrale est complémentée de trois postes techniques et d’un poste de livraison [4]. En cas d’incendie, le site dispose de deux citernes souples (120 m3) facilitant l’intervention des personnels du Service départemental d’incendie et de secours (SDIS).
Selon son promoteur (pas forcément impartial, on vous l’accorde), le temps de retour énergétique (fabrication des panneaux, installation, démantèlement) du parc serait de l’ordre de la moyenne nationale, trois ans, et permettra d’éviter l’équivalent de 171 tonnes de CO2 par an.
Par ici la monnaie
On l’a vu supra, l’enveloppe du projet, par ailleurs lauréat de l’appel d’offres national de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en février 2019, culminerait les 4 millions d’euros.
Bien négocié par le syndicat mixte du Val de Loir (trente-deux communes) ou habilement concédé par l’exploitant pour devenir l’interlocuteur exclusif et incontournable (ou les deux), reste que ce dernier a accepté de verser ponctuellement « un ticket d’entrée » de 150 000 € au SMVL. « Certains, dans les milieux autorisés, s’autorisent à penser… » que l’obole aurait permis d’effacer 5 % des 10 % de hausse de la taxe sur les ordures ménagères envisagée à l’époque par le syndicat mixte.
Plus régulièrement, le SMVL percevra chaque année 14 000 € de loyer. Sur quelle durée ? on l’ignore !
La communauté de communes du Sud-Sarthe (qui regroupe dix-neuf communes), elle, devrait empocher 40 000 € de recettes fiscales chaque année sans qu’on sache, là encore, sur combien d’années ou si c’est jusqu’à extinction des capacités productives rentables des panneaux. En sus, Aubigné-Racan, qui héberge la ferme solaire sur son territoire, percevra une taxe sur le foncier bâti dont le montant, pour l’heure, ne nous est pas connu.
Instant lucide
Toutes les activités humaines engendrent des pollutions. La production d’énergie tout particulièrement. Certaines moins que d’autres. Cette page promeut une des énergies les moins carbonées, sans pour autant qu’elle soit irréprochable. Ne l’oublions pas : « l’abus de consommation est dangereux pour la santé de la planète ! » De la nôtre également. Loin de nous la promotion des majors de cette activité, essentiellement motivées par des opérations mercantiles. Hélas, via les EnR, ce sont les sociétés privées qui, massivement, prennent la main sur notre futur énergétique !
Malgré les annonces et rodomontades verbales du président, en février 2021, sur la requête du collectif l’Affaire du siècle (soutenue par une pétition de plus de deux millions de signatures), le tribunal administratif de Paris a reconnu l’inaction de l’État concernant ses engagements de réduction des gaz à effet de serre [5]. En octobre 2021, le même tribunal a aussi condamné l’État à réparer le préjudice, au plus tard le 31 décembre 2022. Réélu le 24 avril, « le premier de la classe » a une marge de progression incommensurable devant lui.
Plus modestement, la commune d’Aubigné-Racan accueille aussi sur son territoire une petite unité de production hydroélectrique. Depuis 2016, les propriétaires de l’ex-moulin à papier (à partir de chiffons) de Cherré ont réhabilité son ancienne turbine. Une « Fontaine », âgée de près d’une centaine d’années (la plus ancienne conservée en Sarthe). Aussi son multiplicateur de vitesse, et pas que. Raccordée au réseau ERDF en février 2016 et volontairement bridée pour sa préservation, depuis, bon an mal an, elle y injecte jusqu’à 36 kW.
Aubigné, c’est aussi son poète-écrivain local, Honorat de Bueil de Racan (1589-1670), duquel la commune a accolé son nom (aussi, le pays de…), mais encore son site archéologique de Cherré d’époque gallo-romaine et son passé d’entrepôt de munitions militaires partagé avec Vaas (cf. encadré de notre précédent article sur la centrale solaire de Vaas, c’est là : ▶) qui accueillera d’ici à la fin de l’année (et plus probablement au début de 2023) un nouveau parc solaire à cheval sur les deux communes d’Aubigné et Vaas).
Notes
[1] Sauf… l’uranium ! Matière fissile, mais aussi fossile, dont un bon tiers des besoins hexagonaux est importé du Kazakhstan (sous domination russe). Début mars, on a même vu des combustibles nucléaires exceptionnellement transportés dans un avion russe (avec dérogation de survol des pays) qui a décollé de Russie pour atterrir en Slovaquie, via la Biélorussie et la Pologne. La Slovaquie nucléaire, c’est deux centrales, six réacteurs, plus deux en phase de construction.
[2] Bien sûr, de nombreuses autres installations photovoltaïques sur toitures, ombrières, trackers, ont parallèlement vu le jour ici et là (notamment au Mans). Et on ne vous a pas encore parlé de la centrale PV sur l’ex-gare de triage du Mans-Arnage. Ça vient !
[3] Tenez-vous bien ! Ledit CET (centre d’enfouissement technique) a été modelé et réhabilité par l’apport de trois couches : l’une, drainante, de 40 cm de pneus broyés permettant la diffusion uniforme du biogaz (leur gomme est considérée comme non-dégradable et pourrait toutefois advenir au terme de 600 années) ; une seconde, semi-perméable de 30 cm ; la dernière, de terre végétale enherbée de 20 cm… Cependant, aucun des aérateurs biogaz ou regards n’est présent dans l’emprise du projet. Pour des tomates bios, il faudra quand même attendre.
[4] Bémol : le poste de livraison, esthétiquement bien bardé (bardage en bois), est particulièrement bruyant et situé non loin de maisons résidentielles.
[5] Un dépassement du plafond d’émissions de gaz à effet de serre de 62 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2) entre 2015 et 2018.
Photos : SdN 72.