Juillet-août 2016 — Le Mans – Italie et retour
Nous avons reçu cette carte postale d’Italie, envoyée cet été par l’un des nôtres. Pays qui, après la catastrophe survenue à Tchernobyl en 1986, a décidé de renoncer au nucléaire civil en 1987, à la suite d’un référendum. On l’a vu cet été, la géologie de la péninsule est particulièrement tourmentée (séisme de magnitude 6,2 à Amatrice [1]). Du coup, notre regard torve et notre mémoire sélective se tournent aussi sur cet autre séisme corrélé de suffisance humaine qui entraînera le cataclysme de Fukushima Daiichi. Un deuxième désastre qui va « bâcher » les tentatives de retour du nucléaire dans la péninsule, orchestré par le « Caïman » (Berlusconi) et ses épigones. Définitivement, on l’espère !
Tourmentée, la géologie de certaines régions de France ne l’est pas moins (vallée du Rhône, Fessenheim, Bugey, Avoine-Chinon…). Et, pour mille autres raisons, la sortie du nucléaire s’impose aussi chez nous !
Mes tribulations estivales m’ont fait arpenter les terres de Toscane et plus largement celles d’Italie. Un périple plutôt convenu qui passait par les Cinque Terre, Carrera [2], Florence, Sienne, Garavicchio, Naples [3], Assise, Pérouse et d’innombrables villages (Labro, Castellina in Chianti [4] et bien d’autres…), lacs (Piedilucco, Trasimeno…) tous aussi merveilleux les uns que les autres.
Le jardin des tarots, avec vue…
Un intrus dans cette énumération, Garavicchio (province de Grossetto) ! S’y niche « Il Giardino dei Tarocchi » (ou Jardin des Tarots) de Niki de Saint Phalle. Le jardin d’une artiste franco-américaine un brin fantasque, aux fortunes diverses, dont celle d’avoir hérité d’un richissime père, incestueux (français). Son œuvre s’étend de ses tableaux « tirs » (« performances » à la carabine sur ballons de baudruche remplis de peinture maculant des toiles comme autant de larmes) à ses célèbres « Nanas » en passant par ce singulier éden, à mi-chemin entre le parc Güell à Barcelone (d’Antoni Gaudí, architecte de la Sagrada Famillia…) qui l’a inspirée, et le Parco dei Mostri (Parc des monstres) ou Jardins de Bomarzo — pas vu — à une encâblure [5].
Les compositions d’« Il Giardino » imagent les vingt-deux arcanes majeures du jeu de tarot marseillais (classé par certains art divinatoire) réalisées entre 1979 et 1993 (aidée principalement de son compagnon Jean Tinguely et de multiples autres connus et inconnus, qui le demeureront). La Grande Papesse, l’Impératrice (aussi, appartements de Niki de St Phalle), le Magicien, le Pendu, la Justice, l’Injustice (emprisonnée [6]), la Force, le Soleil, le Diable, les Amants…. et la Mort à cheval ! La végétation y a repris une luxuriante place et participe du décor. Au détour d’un regard, entre la Luna et la Tempérance, les mal avisés y regretteront une verrue industrielle, au loin, côté mer. Les avertis identifieront cette verrue pour être la centrale nucléaire de Montalto di Castro (d’Enel, l’électricien italien) à 8-9 km. Bastia, en Corse, est à 168 km à vol d’oiseau.
Une centrale nucléaire peut en cacher d’autres…
Une centrale nucléaire, sans panache blanc. Arrêt technique ? Maintenance ? Panne ? Accident ? Rien de tout ça ! Ici, pas de tour de refroidissement, les deux réacteurs auraient été rafraîchis par l’eau de la mer Tyrrhénienne. Auraient… parce qu’un événement va en décider tout autrement ! Tchernobyl, en 1986 ! Les deux réacteurs ne seront pas achevés.
Certes, l’Italie n’était pas engagée comme sa voisine, la France, dans le tout-nucléaire. Elle ne possédait en réacteurs de puissance « que » Trino Vercellese (1 unité, à eau pressurisée), Caorso et Garigliano (2 unités à eau bouillante), Latina (1 unité de type GCR) et, en devenir, Montalto di Castro (deux unités de type BWR de 982 MWe). Tous seront arrêtés dans les trois années suivant le référendum de 1987 déclenché par la catastrophe ukrainienne, européenne et mondiale, entérinant l’arrêt de l’utilisation de l’industrie nucléaire en Italie. Et les deux tranches encore en construction à Montalto di Castro (notre photo) ne pendront jamais la crémaillère. Notez au passage que l’Italie prendra cette décision bien avant Fukushima, alors que son sous-sol est, lui aussi, souvent et fortement chahuté. Pourtant… (cf. chapô et suite) ?
Retour d’expérience
À contrario, la France n’aura jamais consulté qui que ce soit sur son programme nucléaire. Ni avant ni après les accidents de Saint-Laurent-des-Eaux, Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima… Pire, elle a entrepris de construire l’EPR de Flamanville à dessein de s’en servir de vitrine commerciale. C’était sans compter les déboires d’autres EPR, vendus par Areva et déjà en construction à Olkiluoto (Finlande), Taishan (Chine) et à Flamanville avec un fond de cuve en passoire, un couvercle exsangue et des finances plombées de chez plombées pour Areva et EDF. Mais, qu’au bout du bout, clients et contribuables paieront. Et l’avenir des deux réacteurs d’Hyncley Point (avant travaux, autres que le terrassement) n’annonce pas d’être un long fleuve tranquille…
Un prototype d’EPR avec lequel la France entendait aussi renouveler son parc vieillissant, dupliquer et vendre tous azimuts, à l’Angleterre (à Hyncley Point, on l’a vu, un projet sous le feu de la rampe, fortement décrié), l’Inde, l’Arabie Saoudite… et à l’Italie.
Deux bellâtres pour l’âtre nucléaire
Aux manettes de divers ministères depuis plusieurs années, en mai 2008, Silvio Berlusconi redevient président du Conseil des ministres. Portés par la remonté des cours du pétrole et l’engagements européens de réduire les gaz à effet de serre, une vingtaine d’années après, lui et son ministre au développement économique, Claudio Scajola, se donneront cinq ans pour faire renouer l’Italie avec l’énergie nucléaire et l’équiper de réacteurs de nouvelles génération. « Solaires », en février 2009, les chefs d’états italien et français (Sarkosy) signaient un pré-accord pour la construction d’un groupe de quatre réacteurs EPR en Italie (trois au nord du pays, plus un en Sardaigne, côté Corse). D’autres devaient suivre ! La loi permettant la relance du nucléaire made in italia sera adoptée en 2010, par le gouvernement de Silvio Berlusconi, se couchant sur le référendum de 1987 et le moratoire de cinq ans sur la construction de nouvelles centrales (1987-1993), qui avait été prolongé jusque là.
Décroché par l’IDV (parti de centre-droit, libéral, opposé à Berlusconi, mais contre le nucléaire civil), un nouveau référendum d’initiative populaire (à questions multiples) programmé les 12 et 13 juin 2011, va en décider autrement ! Le beau scénario, ourdi par le maître des médias italiens conjugué à l’histoire sismique du pays, va se dérouler tout autrement avec les catastrophes de Fukushima du 11 mars 2011 ! Ce qui devait seulement entériner le revirement et fournir le paravent démocratique va tourner à la Bérézina ! Résultats : 25 millions d’Italiens (94,05 % des voix) vont se prononcer pour « l’abrogation de la nouvelle règlementation autorisant la production d’énergie nucléaire sur le territoire » et un taux de participation, insuffisant, mais désormais respectable de 57,01 %. Vous trouverez plus de détails, ici : ▶.
Comune denuclearizzato
Sur le retour, un panneau d’entrée de ville, annonçant — « Cortona comune denuclearizzato » — m’est resté énigmatique (cf. photo). Cosa ? Pas de réponse dans mon guide, ni sur internet et, mon italien n’a même pas encore rodé les formules de politesse de base. Mi scusi ! Cette ville adhèrerait-elle à Abolition 2000, à Mayors for peace (Maires pour la paix), aurait-elle échappé à un projet nucléaire ? Pour l’heure, je n’ai pas de réponse. Si vous avez le début d’un commencement d’indication crédible, merci de nous renseigner. Mais n’allez pas nous faire croire que le voisin — François — béatifié d’Assise, proclamé « protecteur de l’écologie » par le pape Jean-Paul II, en 1979, pourrait y être pour quelque chose.
Unique retour de mes recherches la « zone » dénucléarisée s’avère plus large : « La Provincia di Firenze [est, elle aussi] zona denuclearizzata ». Passant la non-frontière, aurais-je manqué le panneau : « italia denuclearizzata » ?
Queue de comète ?
L’Italie est « sortie » du nucléaire. Donc acte ! Cependant, la boucle est loin d’être bouclée. Il reste qu’elle importe annuellement autour de 10 % d’énergie électrique produite chez ses voisins, de France surtout. Beaucoup plus qu’elle ne lui en exporte ! Un différentiel largement à « l’avantage », de la France (complètement à l’inverse des échanges Franco-Allemands et aux idées reçues et colportés dans les médias sur le sujet, la preuve par 9 est là : ▶ page 12 ). Et du coup, d’origine essentiellement nucléaire (entre 75 et 78 % de la production hexagonale).
Après les avoir longtemps et comme beaucoup d’autres pays, balancés à la mer, elle fait retraiter l’héritage de ses déchets hautement radioactifs à l’usine Areva de La Hague (Manche). On en avait d’ailleurs vu un convoi ferroviaire stationner en gare de triage du Mans le 13 janvier 2013, c’est là : ▶. Des déchets qui lui seront restitués d’ici 10 à 20 ans, via un site de stockage pour lequel elle n’a pas plus de solution fiable que la France (ni aucun autre pays). Des convois ferroviaires qui traversent le pays (ex : du 7 au 8 février 2011, du 23 au 24 juillet 2012…), passant et stationnant parfois à proximité de grandes villes françaises via le terminal de Valognes pour ensuite terminé leur route, par camions, sur 35 km. Et retour !
Elle conserve également deux réacteurs de recherche. Un premier, à Rome (installé en 1960) : Triga Mark II, ENEA Cassaccia Research Center, le second, à Pavie (installé en 1965) : Triga Mark II, Université de Pavie Mark II.
Et, ce n’est pas tout. L’Italie ne dispose pas, en propre, de l’arme nucléaire. Mais, elle est intégrée à l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique nord) et accueille, sur son territoire, des armes nucléaires états-uniennes. Elle compterait de 70 à 90 de ces armes. Au moins 20, stockée à Ghedi et 50, sinon plus, à Aviano (deux contrées du Nord). Parfois qualifiée de « grand porte-avions dans la Méditerranée » (l’origine du propos serait déjà du sinistre Benito Mussolini, dans les années 30) ses Tornados, dont certains armés, participent des manœuvres de guerre nucléaire multilatéraux, violant le Traité de non-prolifération des armes nucléaires qu’elle a ratifié en 1975, qui stipule : « Chacun des États militairement non nucléaires s’engage à ne recevoir de quiconque des armes nucléaires, ni le contrôle sur de telles armes, directement ou indirectement » (Article 2).
Pour une sortie totale du nucléaire, il y a encore loin, de la coupe aux lèvres.
« Air » de ne pas y toucher
Finissons sur une note Italo-ibérique infiniment plus légère, antérieure à ce retournement quand même historique ! Á l’été 1983, le groupe italien Righeira avait ravagé les tympans des estivants d’au moins toute l’Europe (et pour des générations, même pour les plus rétifs aux tubes de l’été) avec une chanson particulièrement redondante et assommante… en espagnol « Vamos a la playa » (ne me dite pas que vous y avez échappé). Loin de la chanson à texte, les légères et rares paroles n’étaient pas moins engagées et réalistes, sinon à message. Un message… complètement passé à la trappe ! Restitution :
« Vamos a la playa » par le groupe italien Righeira [7] :
Allons à la plage, oh oh oh oh
Allons à la plage, oh oh oh oh
Allons à la plage, oh oh oh oh
Allons à la plage, oh oh
Allons à la plage
La bombe a explosé
Les radiations grillent
Et nuancent le bleu
Refrain
Allons à la plage
Tous avec un chapeau
Le vent radioactif
Ebouriffe les cheveux
Refrain (X 2)
Allons à la plage
Enfin la mer est propre
Plus de poissons dégoûtants
Sinon une eau fluorescente
Refrain (X 3-4…)
Oui… Au bout du bout, c’est ifiniment moins joyeux qu’il n’y parait !
Pour plus de détails et la vidéo, c’est là : ▶.
Plus dure sera la chute
En Autriche (à Zwentendorf), en Espagne (à Lemoniz), en Italie (à Montalto di Castro), aux Philippines (à Bataan), aux Etats-Unis (à Bellefonte) [8], des centrales en construction ou avant que leur coeur ne soit chargé en combustible ont été stoppées. L’Allemagne a arrêté le surgénérateur Kalkar bien avant toute phase industrielle quand la France s’est entêtée deux décennies durant, à Malville, dans un fiasco industriel et financier abyssal ! À Flamanville il est encore temps d’arrêter les frais avant que l’addition ne soit : sanitairement, écologiquement, socialement et financièrement — incommensurablement — plus lourde. C’est le message qu’il nous appartient de massivement faire capillariser dans les rhyzomes des structures antinucléaires pour « réussir » Flamanville, le 1er octobre 2016.
[1] Autrement dit, de même magnitude que celui de Lambesc (en Provence) de 1909, situé à 40 km du centre nucléaire de Cadarache.
[2] Carrare en français ! Bien connue des sculpteurs et amateurs d’arts pour son marbre et les ateliers Nicolli. Elle a donné le nom de carrière à la langue française… Les amateurs d’histoire sociale la connaissent pour être un bastion de l’anarchisme italien et international, sa place Sacco et Vanzetti…
[3] Ou l’on retrouve une invasive installation de gastéropodes de toutes tailles et bigarrés du Cracking Art Group en sortie de gare. Au Mans, c’est là : ▶.
[4] Castellina in Chianti, un des multiples jolis villages de Toscane (au passé Étrusque). La cité fêtait le centenaire de la naissance de Léo Ferré. Le chanteur-poète, anarchiste et musicien qui s’y est installé au début des années 70. Sa veuve, Maria Christina Diaz produit notamment la cuvée San Donatino Poggio Al Mori, un excellent Chianti, reconnaissable à son étiquette ornée d’une chouette dessinée par Pablo Picasso (compagnon du PC, un temps contre le nucléaire militaire, mais longtemps partisan immodéré du nucléaire civil).
[5] Mais aussi bien, au Palais idéal de Joseph Ferdinand Cheval, d’Hauterives, ou, plus près de chez nous, la Maison-musée de Robert Tatin à Cossé-le-Vivien en passant par la maison Picassiette de Chartres, aux Jardins d’art brut de Fernand Chatelain de Fyé et au Luna Rossa à Caen (même si ces derniers rapprochements en feront sourciller quelques-un).
[6] Où « Jean Tinguely [compagnon de N de St Phalle] a piégé l’injustice à l’intérieur de la justice et refermé la porte à clef » (inscription gravée dans l’allée qui y conduit).
[7] Par la suite, ce morceau a été repris par maint autres « artistes » de variété, son texte original revisité, expurgé de tout allusion antinucléaire, pourtant si peu subversives.
[8] Zwentendorf, a servit de lieu de tournage de Grand Central de Rebecca Zlotowski. Kalkar a été transformée en parc de loisirs, le Wunderland Kalkar (« Pays des Merveilles de Kalkar »). Bataan est ouverte aux touristes (en dépit du ministre de l’énergie philippin, Jericho Petilla, qui voulait la remettre en état). Bellefonte, pourrait-être vendue et, qui sait, terminé et mis en service !
Photos, SDN 72 et captures d’écran Google Earth (Cortona, la nôtre étant inexploitable), Wikipédia (Firenze).