Lundi 24 octobre 2016, autour d’11 h — Caen – Le Mans
Récit d’une rencontre fortuite avec un convoi nucléaire d’un militant de SdN 72, de retour d’un week-end à Caen.
Nez à nez avec un « Castor » !
Il est 10 h 45, ce lundi 24 octobre 2016. On attaque le boulevard périphérique (RN 814) au nord-ouest de Caen vers Carpiquet. Quelques kilomètres… Puis un gyrophare, puis, des rampes de gyrophares sur les toitures de plusieurs véhicules bleus nuit. Je consulte ma vitesse, elle est adaptée. Rassuré, je ralentis quand même. Les véhicules se rapprochent « dangereusement » derrière moi avec force éclats de lumière et, derrière une masse imposante qui semble être un camion (il y a des nappes de brouillard, oui, même à 11 heures, confirmant le parti d’en rire « d’Heula » [1]). Sans y croire vraiment, je lâche à l’unique passagère : « On va être doublé par un convoi de déchets radioactifs ». Trois voitures et fourgons de gendarmerie me doublent, bien vite suivis par un unique camion et sa remorque blanche en parallélépipède rectangle ! Ça ne ressemble pas a un « Castor » ferroviaire [2] mais le trèfle nucléaire est bien présent sur le flanc droit et l’arrière. Pas le temps de finasser ni de plonger dans ma poche pour une photo déléguée à mon accompagnatrice, un nouveau véhicule de gendarmerie étincelant de lumière bleutée lui aussi se rabat prestement derrière la voiture suiveuse qui ferme le ban. Le véhicule lourd — en charge et en toxicité — ne doit visiblement être suivi que par les bleus !
On suit quelque temps ! À chaque entrée de périphérique qui s’annonce, un véhicule rapide de l’avant rejoint l’arrière et veille à ce qu’aucun autre véhicule ne s’intercale. Dès que l’entrée se présente, ledit véhicule rapide se rabat fissa sur la voie de droite, d’accélération pour les entrants sur le périphérique, pour les obliger à ralentir et les empêcher d’être au cul du camion et son « château » radioactif. L’opération terminée, le véhicule rapide rattrape le convoi et repasse à l’avant.
On quitte le boulevard périphérique pour l’axe à quatre voies Caen-Falaise. Le scénario se répète à l’identique, le bolide de l’avant rétropédale, se déporte sur la bretelle d’accès et entrave la vélocité des entrants sur l’autoroute A 28 ou la nationale via Argentan, Alençon…
Doubler le convoi n’est pas empêché. Les ponts enjambant le périphérique et la route à 2 x 2 voies Caen-Falaise ne semblent aucunement surveillés ni même le viaduc de Falaise dont on peut imaginer qu’un camion-bélier mal intentionné pourrait drosser, en le doublant, le camion-tracteur et son château nucléaire dans le vide. Les châteaux sont censés résister à une certaine hauteur de chute [3]. À cet endroit, ce n’est pas forcément non plus un sol dur (mais la hauteur, elle, est conséquente). M’enfin !
On laissera le convoi un peu avant l’entrée de l’autoroute après Falaise. À regret. J’avais proposé la nationale et un « repérage » à Chambois (Université du goût de Michel Onfray [4]), au mémorial de Montormel (« poche » de Chambois) et la visite de Sées, je ne pouvais pas me désengager, mais j’aurais bien continué, histoire de pouvoir témoigner de son probable passage en périphérie du Mans, via ?
Désolé pour la photo (ci-contre), on est à distance avec pour seul appareil photo un smartphone vieille génération, sans véritable zoom… Dommage ! Avant Falaise, nous avions le « château » avec, en fond, les dix éoliennes du parc Falaise-les Sablons-Soulangy…
Les « Castors », une espèce prolifique
Au retour, avide d’en savoir plus, j’ai transmis ce mail (supra) à Laura Hameaux, chargée de campagnes locales et nationales du Réseau Sortir du nucléaire (chargée entre autres des transports nucléaires) et à Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace France. Les deux confirmeront formellement « un convoi de 150 kg de plutonium en provenance de La Hague et se rendant à Marcoule comme tous les débuts de semaine ».
Bonus : Yannick Rousselet a bien voulu développer une réponse très argumentée (avec photos, plans, liens…), qu’il en soit remercié. Intra, un extrait de son mail !
« Comme promis, quelques explications sur le convoi que tu as vu sur la route. Les combustibles irradiés/usés arrivent en provenance des centrales nucléaires par train, puis par camion du terminal ferroviaire de Valognes jusqu’à La Hague. Après refroidissement en piscine environ cinq ans (environ 10 000 tonnes actuellement en piscine), les assemblages de combustibles sont cisaillés puis dissous dans de l’acide nitrique chaude, puis par différents procédés physico-chimiques, on sépare les trois composants majeurs :
— entre 1 et 2 % de plutonium, il y en a environ 64 tonnes stockées aujourd’hui (Nagasaki, c’était 8 kg) ;
— 3 % à 4 % de déchets de très haute activité (produits de fission, transuraniens) qui sont vitrifiés et entreposés dans des puits ventilés (c’est ceux-là qu’AREVA et ANDRA rêvent de mettre dans le trou de Bure) ;
— et enfin le restant, environ 95 %, l’URT (uranium de retraitement) qui est transporté sous forme liquide (nitrate d’uranyle) par train vers Pierrelatte pour y être stocké (c’est une petite partie de ceux-là qu’on a longtemps envoyé vers la Russie, ce qui est interdit maintenant suite à nos actions). AREVA prétend qu’un jour on réutilisera ces 95 % d’uranium appauvri issu du retraitement.
En résumé, malgré le discours de recyclage, seulement une partie du plutonium extrait à La Hague repart pour être réutilisé. C’est ce plutonium qui repart chaque début de semaine de La Hague vers Marcoule pour y être recombiné à hauteur d’environ 8 % avec de l’uranium appauvri neuf pour fabriquer des assemblages de combustible MOX. Ces combustibles seront utilisés comme les combustible classique trois ans en centrale, puis seront retournés à La Hague pour y être stockés et non retraités, actuellement plus de 1 000 tonnes de MOX en piscine.
Donc, chaque semaine, le lundi matin ou/et le mardi matin, deux ou trois camions par semaine quittent La Hague pour rejoindre l’usine MELOX à Marcoule, dans le vallée du Rhône, parcourant ainsi plus de 1 000 kilomètres. Chaque camion transportant un container ISO 20 pieds de couleur blanche, lui-même contenant 10 conteneurs FS47 contenant chacun 15 kg de plutonium sous forme PUO2 (dioxyde de plutonium pur). En résumé, nous avons l’équivalent d’environ vingt bombes nucléaires par camion, soit 150 kg par camion, soit de 300 à 450 kg de Pu par semaine qui traverse la France.
Ces convois sont toujours formés de la même manière : une voiture de gendarmerie ouvreuse (comme les « go fast ») environ 1 à 2 km en amont qui visite toutes les aires le long de la route ou autoroute, puis le convoi composé d’une voiture devant, puis un camion, puis une autre voiture, puis deux voitures fermant la marche. S’il n’y a qu’un camion, la composition reste la même.
L’escorte est maintenant spécialisée depuis que nous et Greenpeace en avons bloqué un en plein cœur de Chalon-sur-Saône. Ces gendarmes sont des « mobiles » basés à Aulnay-sur-Odon.
Le convoi ne s’arrête la nuit que dans des casernes militaires habilitées.
Les camions sont tous, sans exception, des Mercedes Actros de couleur blanche, avec un pare-buffle en inox, des klaxons sur le dessus avec deux chauffeurs lorsqu’ils sont chargés (voir descriptif joint).
Ci-dessous, quelques éléments utiles :
— un lien sur mes vidéos de convoi à diffuser largement, c’est là : ▶ ;
— en attachement, des images utiles. Sur la carte, il manque l’option passage par Falaise qui est une option récente. Surtout, n’hésitez pas à diffuser et si vous en voyez, documentez (photos, vidéos) et prévenez-nous le plus tôt possible. Bien qu’on en sache beaucoup, pensez que tout élément supplémentaire peut nous être très utile » (…).
Dont acte !
[1] Série de cartes postales humoristiques (et autres produits dérivés) brocardant le climat normand, dont, on ne sait pourquoi, la pluie. Sur la carte que nous publions, le message « climat » est, disons… subliminal ! Pour cerner le sujet, c’est là : ▶.
[2] Conteneur de stockage et de transport de combustible et/ou de déchets nucléaires de marque commerciale allemande, dont le terme correspond à Cask for storage and transport of radioactive material.
[3] La résistance mécanique des Castors ferroviaires français supporte en théorie une chute d’une hauteur de 9 mètres, un feu jusqu’à 800 °C et une immersion à une profondeur de 15 mètres. Ils aténueraient le rayonnement émis par les produits transportés (moins de 2 millisieverts par heure [2 mSv/h] au contact de l’emballage et 0,1 mSv/h à deux mètres de la paroi).
[4] Gastronome, épicurien… et philosophe controversé, piquant mais toujours captivant. Mais sa très conventionnelle position sur le nucléaire est affligeante, c’est là : ▶ !
Photos et illustration : SdN 72 et Yannick Rousselet pour Greenpeace.