Samedi 18 février 2017 – Bure, bois Lejuc
Plus de cinq cents opposant.e.s ont répondu au rendez-vous improvisé de ce samedi 18 février, en réaction aux menaces d’expulsion conjointes de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) et de la préfecture, qui pèsent sur les occupant.e.s du bois Lejuc (Meuse). Dont certain.e.s motivé.e.s venu.e.s de l’Ouest, Nantes, Angers, Le Mans… Toutes et tous, d’abord, unanimement opposé.e.s au projet d’enfouissement des dangereuses scories du parc nucléaire dans les entrailles du site dit CIGéo (Centre industriel de stockage géologique), à Bure (55).
Si aucun.e Sarthois.e n’a emprunté le bus parti à pas d’heure de « La belle endormie » (autre surnom de la cité des Ducs), quelques Sarthois.es s’étaient déjà rapproché.e.s du théâtre des opérations depuis quelques jours par leurs propres moyens. Une avance sur les festivités opportunément mise à profit dès le mardi 14 février — jour de la Saint-Valentin — pour se joindre au groupe de quatre-vingts tourtereaux partis de nuit déclarer leur flamme à l’ANDRA, torches artisanales en main, jusqu’au champ — sérieusement protégé — acquis récemment pour y implanter un transformateur (jour de grand amour oblige — ou pas —, tourtereaux et volaille se sont abstenus de se voler dans les plumes). Au planning des autres jours : visite guidée (cf. photos, de quelques militant.e.s du département devant des éléments du mur « protégeant » [sic] les travaux d’ingénierie de l’Andra [traduire : saccage de la forêt], « basculés » à la mi-août 2016), la reconnaissance des lieux et des rencontres avec des occupants du bois Lejuc et de la « Maison de résistance » [1].
Bref, créer du lien, mais aussi participer concrètement à l’intendance, aux ateliers masques (hiboux…) et grand phœnix (cf. plus loin), à l’approvisionnement des vigies en eau et vivres, transporter des militant.e.s et bénévoles… Tous ces petits riens participatifs et solidaires sans quoi la résistance ne pourrait ni s’accomplir ni se poursuivre !
Samedi, dès 11 heures du mat’, une nuée de drôles d’oiseaux — six cents selon la presse —, dont certains au regard dissimulé par un loup en forme de hibou versicolore, s’est tranquillement déployée du centre de Bure vers le bois Lejuc, la forêt promise aux puits de ventilation de CIGéo, réoccupée en juillet et août par les manifestants et, de nouveau, par des vigies anti-nucléaires dans des nichoirs habités (cahutes perchées à la cime des arbres) et/ou cabanes au sol. Un périple sur les brisées des deux précédentes protestations (juillet et août 2016) parcouru dans une joyeuse cacophonie de hululements, slogans (« On est plus chaud.e.s, plus chaud.e.s, plus chaud.e.s que CIGéo ! », « Mur par mur et pierre par pierre, nous détruirons le nucléaire »…) et de batucada mêlés, via le promontoire de Chauffour, avec vue imprenable sur le fumeux laboratoire de l’Andra, pour les primo-manifestants.
La pause méridienne sera consacrée au repas partagé, complété par la cantine ambulante, la visite des perchoirs-habitations, au marquage du territoire occupé symbolisé par sept cents rubans jaunes noués aux branches reconnaissantes [2], le concassage des pans de murs renversés en août, gisant au sol (photos), simple prise de guerre pour les uns, retour à l’envoyeur et/ou futurs projectiles pour d’autres. Le retour vers Bure en passant par le laboratoire CIGéo et « l’Écothèque » protégés par un important dispositif de gendarmes mobiles retranchés derrière un mur de barbelés et des grilles anti-émeutes sera tout différent ! Le siège des archives d’EDF (Écothèque), mis en musique par des pierres martelées sur les glissières de sécurité, va rapidement laisser place aux vagues d’une partie des manifestants se projetant sur les grilles de protection, jusqu’à les renverser [3]. Une brèche obtenue sous une pluie disproportionnée de projectiles : lancés francs pour les uns (gravats), en faisant parler la poudre pour les autres (grenades lacrymogènes, de désencerclement et assourdissantes [d’excellents produits made in Sarthe, c’est là : ▶]). En retrait, le reste de la foule commente, chante, s’égosille (« Tout le monde déteste CIGéo ! », « Ah, ah : anti, anti-nucléaire, ah, ah ! ») s’active autour du grand phœnix embrasé (symbole de la renaissance de la lutte), barbouille la route de slogans, ou poursuit son chemin…
Bilan : deux arrestations et une vingtaine de blessé.e.s par les éclats, (deux évacués et hospitalisés) et violent impact de flashball sur le dos de la main d’un.e des Sarthois.e.s ! Puis, repli plus tranquille pour tous vers Bure. Enfin, débriefings post manif et régalade à la Maison de la résistance, suivi d’une soirée festive sous chapiteau, sur un terrain voisin de la vigie nord, pour finir la soirée.
Du chant du coq au chant du hibou, la vie a repris son cours normal le dimanche : celui d’un territoire poubellisé, désormais quadrillé de long en large par la maréchaussée en rangers (quand elle n’est pas en tenue Ninja, lance-grenades au clair ou pointé semi-tendu) où les véhicules sont contrôlés et verbalisés, les relevés de plaques systématisés (maintenant, malicieusement détournées ou maquillées par certains opposants), l’identité des conducteurs et passagers relevée. Bref, le quotidien des cités au tréfonds de la ruralité ! Le contrôle social s’exerce sans vergogne : le garde mobile sécurise, le gendarme renseigne — sa principale vocation —, la préfecture contrôle, le pouvoir pérennise l’état d’urgence (fiches S — aussi — pour les anti-nucléaire)…
« Quand on regarde le monde, on ne peut être que pessimiste. Mais quand on passe à l’action, on ne peut être qu’optimiste. » Antonio Gramsci
[1] Maison au cœur du village de Bure achetée par un Allemand pour le compte du Réseau Sortir du nucléaire (puis rétrocédée). Son nom évoque la Maison de vigilance de Taverny où jeûnaient Théodore Monod, Solange Fernex, et… près du PC de déclenchement de l’arme nucléaire de Taverny (à 25 km de Paris, base de commandement de la force nucléaire aéroportée d’alors [aujourd’hui sous l’Élysée]).
[2] … La chèvre de M. Seguin.
[3] L’avant-veille, ces grilles avaient déjà été en partie malmenées et couchées.
Crédit photos : SDN 72 (militant.e.s sarthois.e.s sur les décombres du mur de l’Andra couché en août 2016).